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Discours du ministre fédéral des Affaires étrangères Sigmar Gabriel du 30 juin 2017

04.07.2017 - Discours

Madame la Présidente,
Mesdames, Messieurs,
Chers collègues,

Je tiens en premier lieu à vous remercier de vous consacrer, en dépit de la pause politique estivale proche et d’autres décisions importantes que nous avons déjà prises aujourd’hui, à un sujet qui, de prime abord, peut paraître un peu abstrait, mais qui cache – je crois que nous le savons tous – un très grand nombre de destins concrets de personnes qui, au milieu des guerres et des conflits, luttent tout simplement pour leur survie. Après de longs débats et discussions, menés non seulement au Parlement mais aussi faisant appel à l’engagement citoyen, nous venons d’adopter les lignes directrices du gouvernement fédéral intitulées « Prévenir les crises, gérer les conflits, promouvoir la paix ».

Le nombre de personnes obligées de fuir la violence représente un indicateur très cruel de l’évolution actuelle. Il n’y a jamais eu autant de réfugiés et de personnes déplacées : 65 millions à la fin de l’année dernière! Même si, dans notre pays, ce thème a été et reste lié à des défis, nous devons savoir que nous ne sommes pas, loin s’en faut, ceux qui supportent la plus lourde part du fardeau, mais que ce sont de nombreux autres pays du monde car les personnes qui s’exilent cherchent en grande majorité à se réfugier à l’intérieur de leur pays d’origine ou effectuent un va-et-vient entre les pays pauvres.

Vu ce qui se passe dans le nord de l’Ouganda ou au centre de la République démocratique du Congo, loin de l’attention du grand public, il nous faut redouter un nouveau record négatif en 2017. Et permettez-moi de le dire ici ouvertement, nous entendons ces jours-ci précisément parler d’un nombre massif de réfugiés concernant de nouveau l’Italie. J’ai entendu mentionner ce chiffre aujourd’hui : 20 000 réfugiés en l’espace de quelques jours à peine. À mes yeux, le premier message à l’endroit de l’Europe doit être que nous n’avons pas le droit d’abandonner nos amis, nos partenaires italiens. C’est inacceptable.

Quels que soient les débats sur la politique migratoire menés dans l’Union européenne, nous devons faire en sorte que tous en Europe, et non seulement quelques pays, se montrent solidaires avec les Italiens sur cette question. Il est inacceptable de les laisser seuls face à ce problème pour au bout du compte devoir affronter de nouveau des mouvements migratoires complètement confus à l’échelle européenne.

Mesdames, Messieurs, dans ce monde, les îlots de sécurité et de liberté se rétrécissent. En revanche, le nombre de pays ne cesse d’augmenter dans lesquels les tensions, la violence, la guerre et l’exil font partie du quotidien. Si nous voulons non seulement affronter ces réalités mais aussi, en tant que République fédérale d’Allemagne, prendre la responsabilité de faire évoluer la situation, il nous faut savoir exactement comment nous y prendre. Quel comportement et surtout avec quels moyens voulons-nous, en tant que République fédérale d’Allemagne, et en tant que gouvernement fédéral, contribuer à empêcher la violence et les déplacements forcés de prendre de plus en plus d’ampleur ? C’est la question que nous nous sommes posée, mon prédécesseur, l’actuel président fédéral Frank-Walter Steinmeier, déjà avant moi. Et une chose est claire : nous ne devons pas nous surestimer, nous le savons, mais nous ne devrions pas non plus sous-estimer ce qu’un pays comme l’Allemagne peut faire, justement dans la perspective de la coopération en Europe.

La politique de paix – et cela aussi fait partie de la vérité – exige parfois aussi que l’on ait recours aux moyens militaires. Il doit y avoir des interventions, des Nations Unies notamment, dans le cadre desquelles, il faut également employer, dans certaines circonstances, les moyens militaires pour faire cesser ou prévenir les excès de violence. C’est l’enseignement que nous avons tiré par exemple des événements survenus il y a quelques années au Rwanda, lorsque le monde entier s’est contenté de regarder car il n’était pas décidé à intervenir. Des centaines de milliers voire des millions de personnes l’ont payé de leur vie et de leur santé.

Mais pendant les dernières décennies, nous avons également appris ceci : les interventions militaires de l’extérieur, même si elles relèvent des meilleures intentions possibles, ne mènent pas forcément à une pacification durable ; les militaires sont d’ailleurs les premiers à nous le dire. Dans nos efforts de paix, nous avons donc besoin d’un attachement sans équivoque au primat du politique, à l’action non militaire, civile, en particulier lorsque l’engagement civil doit se greffer sur des conflits militaires inévitables, et ce, non seulement parce que la Loi fondamentale nous engage à ne pas fonder notre politique étrangère sur la puissance militaire, mais sur la diplomatie, sur l’équilibre et sur l’engagement civil, mais aussi simplement du fait de l’expérience que font justement nos soldats dans des missions difficiles : ils nous disent que, en cas de doute, seule cette combinaison, seules de telles interventions peuvent au final déboucher sur la stabilité et une paix durable. Compte tenu des crises complexes de notre époque, il nous faut avant tout agir en matière de prévention mais aussi fournir un soutien rapide pour travailler avec efficacité et de façon coordonnée.

Mesdames, Messieurs, en adoptant ces lignes directrices, nous fixons donc le cap vers une diplomatie de paix moderne. Dans ce contexte, il est très important pour moi – premièrement – que notre travail de réflexion se soit appuyé, d’une part, sur un état des lieux critique et, d’autre part, comme je l’ai déjà dit auparavant, sur un dialogue avec la société civile et les milieux scientifiques, associatifs et économiques.

De nombreux collègues du Bundestag allemand ont également participé à ce processus. J’estime que le déroulement de ce débat n’a pas seulement permis d’aboutir à un produit convaincant. Il a surtout mis en évidence toute la force et la vivacité de ce que j’appellerais la « communauté de paix » dans notre pays. Nous lui devons à elle aussi beaucoup. Nous sommes bien entendu reconnaissants à ceux qui prennent part aux missions – les soldats, les coopérants, etc. –, mais aussi à la communauté dans notre pays qui veut défendre l’Allemagne comme puissance de paix. Je trouve que c’est une bonne nouvelle à une époque où l’on parle partout dans le monde plutôt de réarmement et de conflits.

Deuxièmement, ces lignes directrices reposent sur l’idée qu’il est nécessaire de disposer de stratégies politiques intelligentes ainsi que d’outils efficaces et efficients, mais aussi et surtout d’objectifs réalistes. Nous ne pouvons nous attendre à voir du jour au lendemain les régions en crise devenir des démocraties stables. Le plus bel optimisme et la plus grande détermination ne doivent pas nous faire oublier ceci : instaurer la paix n’est pas une science exacte. Encaisser les échecs en fait partie au même titre que la volonté de prendre des risques calculés précisément lorsque l’on aborde cette tâche avec des idées nouvelles comme nous voulons le faire avec ces lignes directrices. Il importe de ne pas se laisser décourager par les échecs. Ceux-ci doivent au contraire nous inciter à explorer de façon réfléchie et perspicace comment l’Allemagne peut apporter à long terme une contribution au renforcement de la paix et de la sécurité.

Je me permettrai une remarque concernant les exportations d’armements, un sujet très délicat. Il m’a fallu apprendre ces dernières années en particulier ceci : il est toujours faux de penser avoir fait le bon choix parce qu’on livre des armes ou au contraire parce qu’on n’en livre pas. On peut être responsable dans les deux cas : en livrant des armes ou en n’en livrant pas. L’histoire des Yézidis, qui auraient sinon pour ainsi dire été livrés à l’extermination, en est la preuve. Pour toutes ces questions, il est donc sage de bien peser le pour et le contre suivant le cas, de ne pas nous isoler à l’échelle internationale, et avant tout de ne pas proclamer avoir la certitude d’être moralement dans le vrai, que l’on ait adopté une attitude ou l’autre. J’estime que nous devons toujours être conscients de la responsabilité issue de l’une ou l’autre de nos décisions et que nous devons aussi voir clairement le risque que nous puissions avoir tort avec les deux décisions.

Cela fait partie à mon sens de l’ouverture et de la sincérité du débat.

Mesdames, Messieurs, j’en viens au troisième point. Les lignes directrices dessinent des marges de manœuvre possibles.

Elles nous montrent comment et avec quelles méthodes nous pouvons exploiter ces marges de manœuvre pour agir en faveur de la paix. La promotion de l’état de droit en fait partie. De même que le travail de nos policières et policiers, y compris ceux qui donnent des conseils en matière de justice. Car, bien entendu, le travail de ces agents de police vise également à assurer, dans des pays difficiles, la mise en place d’instruments fondés sur l’état de droit et, par ailleurs, la création d’une police qui considère pour ainsi dire ces instruments un but à atteindre. J’ai visité quelques-uns de ces projets de police, par exemple au Mali, et je trouve que nous pouvons vraiment être fiers du travail que ces agents de police y accomplissent pour nous avec un grand engagement afin de mettre en place des structures d’état de droit et une gouvernance organisée sur cette base.

Un dernier aspect : le gouvernement fédéral s’engage de façon très concrète à développer encore ses propres capacités de gestion des conflits. Pour ce faire, nous voulons approfondir également nos partenariats avec nos amis européens, avec les Nations Unies, mais aussi avec des organisations régionales comme l’Union africaine. Car il est clair que les Allemands auront beau fournir seuls le maximum d’efforts, ils ne parviendront à un résultat durable qu’en agissant de concert avec les autres.

Mesdames, Messieurs, ces lignes directrices serviront de cap à l’Allemagne vers une diplomatie de paix moderne. Chacun de nous au parlement sait cependant qu’un cap ne suffit pas en lui-même mais qu’il nous faut aussi disposer pour ainsi dire du matériel, des instruments et aussi toujours pour finir de l’argent nécessaire.

Je vous le dis donc en toute franchise : ces dernières semaines et ces derniers mois, j’ai participé comme vous tous au débat sur l’objectif des 2 % du PIB à consacrer à la défense dans les pays de l’OTAN. Je n’ai pas l’intention d’entrer dans les détails, mais j’ai constaté que deux points sont totalement absents de la discussion.

Premièrement, lorsque le monde entier parle de réarmement, l’Allemagne et l’Europe se doivent de reparler de désarmement et de contrôle des armements.

Ce sujet ne peut pas ne plus être abordé. Nous organisons ces jours-ci un dernier hommage à Helmut Kohl. Helmut Schmidt et Helmut Kohl ne sont pas à tort régulièrement cités en rapport avec la Double décision de l’OTAN. À cette époque, il y avait d’un côté la capacité de défense, et de l’autre les propositions de désarmement. Il y a quelques jours, j’ai participé en Islande à une conférence de plusieurs États européens et j’ai eu l’occasion de visiter la maison Blanche à Reykjavik où Mikhaïl Gorbatchev et Ronald Reagan ont préparé un traité dont nous sommes encore aujourd’hui les bénéficiaires, à savoir le traité FNI, le traité entre les États-Unis et l’Union soviétique sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. Or, ce traité justement est en danger actuellement, d’une part en raison des inquiétudes suscitées par ce que les Russes font en ce moment, et d’autre part parce que les Américains disent ne pas pouvoir accepter à la longue ce qui se passe.

Nous devons en revenir à une discussion dans laquelle nous disions oui à la capacité de défense, mais oui aussi s’il vous plaît aux offres offensives de contrôle des armements et de désarmement que nous soumettrons, nous les Allemands justement, et en Europe justement, Mesdames, Messieurs. Cela joue aussi un rôle important.

De même que les instruments de financement bien entendu. C’est pourquoi, à mes yeux, le débat sur les 2 % est un peu biaisé, car il faudrait en fait avant tout se demander quel usage on veut faire de quelque chose. Tant que l’on n’en est pas capable, il est difficile de dire combien il nous faut, surtout quand on sait que les Européens atteignent 45 % des dépenses de défense des États-Unis mais, par comparaison, seulement 15 % de leur efficacité. Il est important aussi que nous évitions de prendre part au processus funeste qu’est une augmentation des dépenses s’accompagnant d’une réduction de l’aide au développement et de la prévention des crises. Au contraire, pour chaque euro que nous investissons dans la capacité de défense, nous devrions en fait investir 1,50 euro dans l’aide au développement et la prévention des crises.

Je vous remercie de votre Attention.


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