Bienvenue sur les pages du Ministère fédéral des Affaires étrangères
Discours du ministre fédéral des Affaires étrangères Heiko Maas devant le Bundestag allemand lors de la séance réservée aux questions d’actualité, en réponse à une demande de l’Alliance 90/Les Verts : « Conséquences tirées par le gouvernement fédéral de la violence, de l’arbitraire et de la répression en Russie »
Dissimulation. Déni de responsabilité. Campagnes de désinformation pour créer la confusion. Transformation des victimes en coupables désignés. Ce qui ressemble à un extrait tiré d’un vieux manuel d’agent secret n’est en résumé rien d’autre qu’un scénario guidant les actions de Moscou ces derniers mois – après la cyberattaque contre le Bundestag, après l’assassinat dans le parc Tiergarten et dans la gestion de l’affaire Alexeï Navalny.
Aussi, je tiens pour commencer à rappeler encore une fois les faits. Face à l’appel que nous avions lancé à la Russie pour qu’elle enquête et fasse la lumière sur ces crimes, Moscou a répondu avec des accusations en partie absurdes formulées à l’encontre du gouvernement fédéral, et en reprochant de manière cynique à Alexeï Navalny de s’être auto-empoisonné. Les appels qui ont été lancés pour respecter les obligations issues du droit international en vertu de la Convention sur les armes chimiques ou les conventions internationales applicables en matière de droits de l’homme ont été ignorés et qualifiés d’ingérence dans les affaires intérieures. Et les protestations de la population russe contre l’incarcération d’Alexeï Navalny, contre l’arbitraire de la justice et contre la corruption sont brutalement réprimées.
Mesdames, Messieurs, il en va du respect des principes fondamentaux du droit international. Il en va des droits de l’homme et il en va également de nos valeurs.
Par conséquent, nous continuons d’exiger de Moscou la libération immédiate d’Alexeï Navalny et des manifestants arrêtés.
Et si nous le faisons, c’est aussi parce que celles et ceux qui ont été appréhendés n’ont fait que réclamer les libertés auxquelles ils ont droit en vertu de la constitution russe et que l’État russe leur dénie.
Mesdames, Messieurs, nous avons donné une réponse claire et surtout européenne à l’expulsion injustifiée de trois diplomates européens. Je déplore que Moscou n’ait pas profité de la visite de Josep Borrell pour chercher des domaines d’intérêt commun en dépit de toutes les divergences.
Au lieu de cela, nous avons assisté à une campagne de propagande soigneusement orchestrée et à des provocations ciblées, et c’est là bien plus qu’une occasion manquée. Par conséquent, lors du prochain Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne le 22 février, nous devrons réfléchir à la manière de répondre au comportement russe et nous pencher sur la façon dont sont traités les opposants et les manifestants pacifiques. Nous aimerions ne pas avoir à le faire.
Étant donné qu’il est également question de sanctions, permettez-moi d’énoncer deux points qui me tiennent particulièrement à cœur :
Premièrement, les sanctions doivent toujours être liées à des exigences de changement de comportement claires et réalisables. Et même si aucun changement de comportement n’est attendu, les sanctions peuvent également constituer une déclaration qui souligne que certains comportements entraînent inévitablement des conséquences. C’était le cas lorsque nous avons réagi à l’annexion de la Crimée et aux agissements de la Russie dans l’est de l’Ukraine, et cela doit également être le cas maintenant.
Deuxièmement, et je tiens à le préciser : les sanctions doivent toucher les bonnes personnes. Dans ce cas, il s’agit des responsables de la répression de l’État contre ses citoyennes et ses citoyens, non pas des travailleuses et des travailleurs de presque 150 entreprises européennes, la plupart allemandes.
Cela m’amène au sujet de Nord Stream 2, puisque c’est finalement la raison pour laquelle ce débat a été demandé aujourd’hui. Celles et ceux qui remettent fondamentalement en question Nord Stream 2 – un avis tout à fait légitime – doivent néanmoins penser aux conséquences que cela aura, au moins sur le plan géostratégique, et à ce que cela signifie pour les possibilités de l’Europe à exercer une influence sur la Russie. Je n’ai aucun problème à mener ce débat, mais nous pourrions aussi parler d’autres importations énergétiques. Car il y a des pays qui exigent de nous l’arrêt du chantier alors même qu’ils augmentent leurs transports ou importations de fioul lourd de la Russie. Nous devons également discuter de ce que cela signifie en termes de potentiel d’escalade, car au final, c’est à cela que cela va mener. Vous dites qu’en raison des agissements de la Russie, nous ne devrions plus faire d’affaires avec elle. Après tout, chaque marché conclu avec la Russie profite également à l’État – cela vaut donc pour tout le monde ; aussi, cela équivaudrait à un isolement total de la Russie au niveau économique.
Il existe un débat similaire à propos de la Chine, on parle d’ailleurs de « découplage ». Cela ne veut rien dire d’autre que l’isolation économique de la Chine. On peut se demander si cela peut fonctionner dans un monde globalisé. Mais les répercussions que cela peut avoir sur le plan géostratégique devraient pourtant être évidentes. Vous rapprochez de plus en plus la Russie de la Chine, créant ainsi le plus grand groupement économique et militaire qui soit. Et je ne trouve pas que cela devrait être la stratégie de l’Occident dans cette querelle.
Par conséquent, dans ce contexte, je suis contre l’idée de couper tous les ponts avec la Russie.
Actuellement, je préside le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. On m’a dit que nous devrions maintenant expulser à nouveau la Russie du Conseil de l’Europe. L’année dernière, aux côtés de la France et de la Finlande, nous avons œuvré pour qu’elle y reste. Car je n’ai jamais compris à quoi cela servirait de l’exclure de cet organe. Avec l’appartenance de la Russie au Conseil de l’Europe, des millions de citoyennes et citoyens russes continuent d’avoir accès à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. Devons-nous les priver de cet accès ? Même si nous critiquons la Russie parce qu’elle ne met pas en œuvre ses arrêts, la Cour européenne des droits de l’homme est un instrument qui nous permet d’œuvrer au respect des droits des citoyens en Russie. Je suis d’avis que couper les ponts ne constitue pas une stratégie viable. Mesdames, Messieurs, cette stratégie est non seulement fausse, mais elle est aussi dangereuse.
Nous avons proposé de nombreuses coopérations, notamment dans le domaine du climat et de la durabilité, mais aussi en matière de lutte contre la pandémie. Et lors de sa visite à Moscou, Josep Borrell a lui aussi encore une fois souligné la volonté européenne de parvenir à des relations constructives. Je lui suis d’ailleurs reconnaissant de l’avoir fait, surtout en cette période difficile. Nous avons demandé la convocation du Conseil OTAN-Russie ; nous attendons toujours la réponse de la Russie. Suite à l’annonce de la Russie de sortir du Traité « Ciel ouvert », avec 15 autres ministres des Affaires étrangères, nous avons conçu un format de dialogue et fait une proposition. Jusqu’ici, la Russie n’a toujours pas réagi.
C’est pourquoi je le dis : plus les temps sont difficiles, plus notre langage doit être clair envers la Russie. Il est cependant dans notre intérêt que les relations entre l’Europe et la Russie s’améliorent, et nous continuerons de maintenir les canaux de dialogue. Mais actuellement, la balle n’est pas dans le camp de Berlin ou de Bruxelles mais de Moscou.
Je vous remercie.