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Heiko Maas : « Hausser les sourcils ne suffit pas »
Le ministre fédéral des Affaires étrangères Heiko Maas parle des relations avec la Turquie et avec les États-Unis et des rapports diplomatiques avec les autocrates.
Monsieur le Ministre, vous être un homme politique très populaire. Pourquoi le SPD (parti social-démocrate d’Allemagne) n’en profite-t-il pas ?
La popularité des personnes ne rejaillit plus systématiquement sur les partis. C’est un changement qui s’est opéré au fil des années.
En quoi votre politique étrangère est-elle social-démocrate ?
La politique étrangère est le champ le moins favorable aux luttes partisanes et politiciennes. Pour moi, une politique étrangère social-démocrate est marquée par la responsabilité et la fiabilité. Les nationalistes et les populistes trouvent un adversaire résolu dans ma personne. Nous voulons être des artisans de la paix. Ma politique étrangère consiste plus à tendre la main qu’à pointer du doigt, en Europe et dans le monde.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan vient cette semaine à Berlin. Vous avez déclaré il y a un an que si la Turquie prenait des citoyens allemands en otages, il faudrait être prêt « à monter d’un cran dans l’escalade ». Cinq Allemands sont encore détenus pour motif politique. Quelle serait maintenant la prochaine étape ?
Pour bouger les choses, il faut parler davantage les uns avec les autres. Cela reprend. L’évolution future dépend aussi de la Turquie. Ce que j’aborde à chaque fois de manière claire et nette dans mes échanges avec la Turquie, ce sont les cas d’emprisonnement, l’application de la liberté de la presse et de la liberté d’opinion et l’évolution de la justice.
Reprendre les discussions les uns avec les autres, pour vous, c’est véritablement « monter d’un cran dans l’escalade » ?
Nous avons déjà accru la pression : les négociations d’adhésion à l’Union européenne ont été gelées. Les aides de pré-adhésion pour la Turquie ont été revues à la baisse. Et les interventions publiques du gouvernement fédéral sur la Turquie sont sans ambiguïté.
Cela a-t-il changé quelque chose ?
Le président turc a tout intérêt à rétablir ses relations avec l’Allemagne sur des bases raisonnables et nous attendons naturellement avec impatience ce qu’il apportera à cette entreprise. La Turquie a aussi son destin entre ses mains concernant la décision, pour l’UE, d’exclure ou non toute perspective européenne pour la Turquie à long terme. Nous remarquons d’ailleurs que les milieux économiques allemands font eux aussi pression désormais. De plus en plus d’entreprises estiment que les investissements sont trop risqués en Turquie parce qu’elles manquent de confiance dans le gouvernement.
En sommes-nous maintenant au point où les entreprises défendent les droits de l’homme ?
Et pourquoi pas ? Les entreprises constituent une partie importante de la société civile. Sur le terrain, c’est surtout la crainte pour leurs propres employés, turcs, qui s’exprime. S’ils sont victimes de la justice turque, cela ne contribuera en tout cas pas à encourager les investissements.
Erdogan doit-il être reçu avec les honneurs militaires et un banquet d’État ?
Il y a une invitation du président fédéral et Monsieur Erdogan est le président élu de Turquie. Du reste, le contenu de nos entretiens avec la Turquie est plus important que le format choisi pour l’invitation.
Les désistements se multiplient pour le banquet d’État. Il se pourrait que le président fédéral se retrouve seul face à Monsieur Erdogan au château de Bellevue, ce soir-là.
Chacun est libre d’accepter l’invitation ou non. Mais croire que Monsieur Erdogan se fâchera si on ne vient pas au banquet d’État me paraît assez audacieux. Quel que soit son avis personnel sur la justification de ce banquet : plus les voix critiques saisiront cette opportunité d’y assister, plus cela en dira long sur notre culture de la liberté d’opinion !
Les relations des États-Unis avec la Turquie sont également mauvaises et apparemment, l’Amérique ne veut plus jouer le rôle du partenaire désireux de retenir la Turquie à tout prix dans l’alliance occidentale. L’Allemagne va-t-elle bientôt hériter du rôle de lien entre la Turquie et l’Occident ?
Je trouve en tout cas que nous ferions bien, du point de vue stratégique, de faire notre part : en travaillant sur les tensions dans nos relations bilatérales, en reprenant des entretiens raisonnables et en montrant une voie qui laisse une chance de perspective européenne à la Turquie, si elle souhaite évoluer dans ce sens.
Et les États-Unis se retireraient pour de bon ?
Les États-Unis, ce n’est pas que la Maison Blanche. Ce pays reste notre principal partenaire en-dehors de l’Europe quand il s’agit de défendre la démocratie, la liberté et les droits de l’homme dans le plus grand nombre possible de régions du monde - et ce malgré les provocations permanentes du président actuel. Je crois fondamentalement que la stratégie consistant à attendre la fin de la présidence de Monsieur Trump pour que tout revienne comme avant ne tient pas. Certains changements sont de nature structurelle et ne dépendent pas seulement de la personne de Donald Trump. Je pense à la concentration plus forte sur les dynamiques politiques internes et à une volonté moindre de prendre part à la gestion des crises et des conflits mondiaux. Nous ne devrions pas nous imaginer que nous pouvons prendre seuls la place des États-Unis où que ce soit. Ce serait présumer de nos forces. Mais nous essaierons, avec nos partenaires européens, de combler ici et là le vide qu’ils laissent derrière eux.
Vous avez récemment appelé de vos vœux une « alliance des multilatéralistes ». En cela, vous prenez indirectement le risque d’affaiblir d’autres alliances multilatérales, comme l’UE ou l’OTAN.
C’est tout le contraire. Dans certains régions du monde, on constate actuellement que beaucoup se détournent d’un ordre fondé sur des normes et du multilatéralisme. Les États-Unis se retirent de l’accord de Paris sur le climat et de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran. Hausser les sourcils d’étonnement ne suffit pas. Nous aurons besoin de stratégies pour maintenir la capacité d’agir des organisations internationales. C’est l’objectif de l’alliance des multilatéralistes. Nous devons nous concerter davantage et plus étroitement. Tout l’enjeu est de rassembler et de renforcer les voix de ceux qui croient au multilatéralisme dans les organisations existantes. C’est plus que nécessaire - malheureusement.
Comme ministre de la Justice, vous pouviez faire des lois. Comme ministre des Affaires étrangères, votre pouvoir se limite à celui de la parole. Quand avez-vous remarqué, au cours des derniers mois, que le pouvoir de la parole était limité ?
Lorsque, malgré des semaines d’intenses efforts de la part de nombreux pays, les États-Unis sont sortis de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran.
Comment les autocrates et les populistes changent-ils le monde de la diplomatie ?
En fait, dans un monde globalisé, dans un monde numérisé, dans le monde du changement climatique, nous devrions penser en grand et sur le long terme. Tous ces thèmes ignorent désormais les frontières nationales. Mais en réalité, une pensée étriquée et à court terme gagne du terrain. Nous sommes arrivés à un point, en Europe, que Paul-Henri Spaak, ancien premier ministre belge et l’un des pères fondateurs de l’Union européenne, avait décrit ainsi : « Il existe deux sortes de pays européens. Ceux qui sont petits et qui en ont conscience. Ceux qui sont petits et qui n’en ont pas encore conscience. » Et c’est pourquoi je crois que l’Europe doit s’organiser de manière beaucoup plus internationale et résolue pour avoir encore une chance.
Monsieur le Ministre, vous êtes non seulement membre du SPD mais aussi grand supporteur du club de football de Hambourg, le HSV. Lequel des deux est en plus mauvais état actuellement : le SPD ou le HSV ?
Le HSV est en position de monter en première division. Le SPD gouverne. Qu’y a-t-il de mauvais là-dedans ?
Propos recueillis par : Marc Brost et Michael Thumann
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