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« Nous devons prendre position contre les néonazis et les antisémites »

04.09.2018 - Interview

Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères Heiko Maas au quotidien « Bild am Sonntag » sur les événements à Chemnitz. Les sujets suivants ont été également abordés : la relation transatlantique, la politique étrangère européenne, les migrations, son prochain déplacement en Turqui

Monsieur le Ministre, les violences à Chemnitz sont-elles enregistrées à l'étranger ?
Bien entendu. Mes homologues européens m'ont très souvent interrogé à ce sujet lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères à Vienne jeudi dernier.

Qu'avez-vous répondu ?
Je leur ai dit que c'était choquant. Autant le meurtre brutal que les horribles chasses à l'homme visant des passants innocents. Les responsables seront poursuivis avec toute la rigueur de la loi. Je tiens également à souligner que la grande majorité des citoyens en Allemagne considèrent également qu'une telle chasse à l'homme est insupportable. Ce sont des gens ouverts et tolérants.

À quel point les violences de l'extrême droite nuisent-elles à la réputation de l'Allemagne dans le monde ?
Quand il s'agit de xénophobie, d'extrémisme de droite et de racisme, l'Allemagne est vue d'un œil particulièrement critique, et à juste titre. Revoir aujourd'hui des saluts hitlériens dans nos rues, c'est une honte pour notre pays. La politique doit faire ses devoirs. Et toute la société est sollicitée : nous devons nous opposer à l'extrême droite. Nous ne pouvons pas détourner les yeux. Nous devons prendre position contre les néonazis et les antisémites pour que les méfaits xénophobes ne ternissent pas durablement l'image de l'Allemagne.

Le Canada donne depuis des années des consignes de voyage, en particulier aux personnes de couleur, pour l'Allemagne de l'Est. Est-ce justifié à vos yeux ?
C'est aux autres pays qu'il appartient d'en décider eux-mêmes. C'est un fait que des infractions racistes sont malheureusement régulièrement commises en Allemagne de l'Est. Mais ce serait trop simple de cantonner le problème à l'Allemagne de l'Est. Peu importe que ce soit en Saxe ou ailleurs. Ce qui compte avant tout, ce sont tous les vrais démocrates qui ont besoin maintenant de notre plein soutien.

Qu'est-ce qui est pire : quelques extrémistes de droite qui font le salut hitlérien ou tous ces citoyens qui manifestent à leurs côtés ?
Les deux. Ce qui est dangereux, c'est lorsque les honnêtes gens ne réagissent pas. Si les honnêtes gens gardent le silence, les racistes se font davantage entendre. Nous devons montrer au monde entier que nous, démocrates, sommes majoritaires et que les racistes sont minoritaires. La majorité silencieuse doit enfin élever la voix.

Et comment ?
Notre génération a reçu en héritage la liberté, l'État de droit et la démocratie. Nous n'avons pas été obligés de nous battre pour ces valeurs et les considérons en partie comme allant de soi. Malheureusement, notre société s'est installée dans un confort dont il nous faut sortir. Cela veut dire qu'il faudrait aussi songer à quitter son canapé pour prendre la parole. Les années de coma éveillé doivent prendre fin. Notre démocratie est ce que nous en faisons.

Comment réagissez-vous si un ami ou un parent tient soudain des propos racistes au cours d'une soirée ?
Je sais par expérience que cela n'apporte pas grand-chose de vouloir exclure aussitôt quelqu'un. C'est même contreproductif. En général, je pose une question toute simple : « Pourquoi dis-tu cela ? » Si la personne peut exprimer ses peurs, c'est une chance alors de pouvoir les réfuter. Quand on parle des faits, on peut atteindre les gens, pas tous mais la plupart d'entre eux.

Faites-vous confiance au président américain Donald Trump ?
Je trouve déconcertant que Donald Trump considèrent non seulement la Russie et la Chine mais aussi l'Europe comme les adversaires des États-Unis. Néanmoins, malgré tous les problèmes, je n'ai pas perdu confiance dans les États-Unis. Absolument pas. Notre amitié repose sur des valeurs, telles que la démocratie, la liberté, les droits de l'homme, et non sur des présidents. Nous ne devons pas commettre l'erreur de mettre Donald Trump et les États-Unis sur le même pied. L'Amérique, c'est plus que les tweets de la Maison-Blanche.

Vous voulez vous-même redéfinir le partenariat avec les États-Unis. Que souhaitez-vous concrètement ?
Il ne faut pas que les sanctions économiques ou les taxes douanières punitives nous paralysent comme le lapin devant le serpent. Face à de telles mesures, nous devons défendre nos propres intérêts avec détermination. Ce n'est pas possible au niveau de l'Allemagne avec 80 millions d'habitants mais seulement au niveau de l'Europe avec 500 millions d'Européens.

Vous inviteriez le président de la Russie Vladimir Poutine à votre mariage ?
Non.

Votre homologue autrichienne Karin Kneissl a invité Vladimir Poutine à son mariage, lui a fait sa révérence et a dansé avec lui. Qu'avez-vous pensé quand vous avez vu ces images ?
En tant que ministre des Affaires étrangères, je suis aussi le chef de la diplomatie. Aussi, je préfère ne pas m'exprimer.

En politique étrangère, l'Europe n'est pas une puissance de 500 millions d'habitants mais un groupe plutôt divisé...
Je conteste ! Notamment en ce qui concerne les taxes douanières punitives et l'accord sur le nucléaire iranien, l'Europe s'est montrée unie et capable d'agir. Ceci dit, à l'avenir, il sera très important que certaines décisions de politique étrangère ne soient plus seulement prises à l'unanimité. Les décisions à la majorité permettent de nous protéger contre le fait que des puissances puissent acheter l'opposition d'un seul État membre pour tout bloquer.

C'est pour quand alors ?
Nous devrions engager les mesures nécessaires après les élections européennes au printemps prochain.

Et vous croyez vraiment que le vote à la majorité pourra obliger la Pologne ou la Hongrie à accueillir des dizaines de milliers de réfugiés ?
Ce ne serait pas raisonnable. Nous ne devons pas permettre que la question migratoire demeure une pomme de discorde. Je propose plutôt que celui qui ne veut pas accueillir de réfugiés assume des responsabilités dans un autre domaine, comme lutter contre les causes des migrations en Afrique.

Votre homologue Jean-Yves Le Drian a dit qu'il ne voulait plus payer pour les gouvernements populistes de droite en Europe...
Nous discutons depuis un certain temps à Bruxelles des conséquences financières que des lacunes en matière d'État de droit pourraient entraîner. Dans les discussions de politique étrangère, il est préférable que les Allemands tendent la main plutôt que de donner des leçons. Nous avons besoin d'une Europe unie. Une division de l'Europe en première et deuxième classe ruinerait l'idée européenne.

La Turquie est en pleine crise. Devons-nous aider ce pays, y compris au plan financier ?
Un effondrement économique et politique de la Turquie n'est absolument pas dans notre intérêt. Mais, actuellement, il ne s'agit pas de mesures d'aide financière concrètes pour l'économie turque mais d'une normalisation de nos relations. C'est à la Turquie d'agir.

Qu'attendez-vous du président Recep Tayyip Erdogan avant sa visite d'État en Allemagne ?
Je me rends moi-même la semaine prochaine en Turquie. Sept ressortissants allemands sont encore emprisonnés sans motif en Turquie. Depuis plus d'un an, ils sont placés à l'isolement sans aucun acte d'accusation. Cette situation est intenable et doit prendre fin.

Vous avez encore le temps de faire du vélo ou de courir ?
Pas aussi souvent qu'avant, mais je peux faire un jogging même pendant mes déplacements si l'emploi du temps le permet. Et quand je passerai une semaine à New York au mois de septembre pour assister à l'Assemblée générale de l'ONU, j'emporterai mon vélo de course. À Central Park, il y a une piste cyclable, et j'ai l'intention de faire quelques tours le matin avant de commencer le marathon des réunions. Peut-être que je réussirai à convaincre l'un de mes homologues de m'accompagner.

Propos recueillis par Roman Eichinger und Angelika Hellemann

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