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Stabilisation et dialogue : les médiateurs

Ali Saif et Oliver Wils, médiateurs de la Berghof Foundation, dans la cour vitrée du ministère fédéral des Affaires étrangères. Leur travail est soutenu par l’Allemagne

Ali Saif et Oliver Wils, médiateurs de la Berghof Foundation, dans la cour vitrée du ministère fédéral des Affaires étrangères. Leur travail est soutenu par l’Allemagne © Ministère fédéral des Affaires étrangères

10.01.2018 - Article

L’Allemagne tente d’aider les pays en crise par une médiation de paix. Mais qu’entend‑on par là concrètement ? L’exemple du Yémen.

Un déjeuner à l’hôtel InterContinental de Berlin. Ali Saif se rapproche d’Oliver Wils, assiette à la main. « Regarde au fond à droite, chuchote‑t‑il, ils parlent ! » Les deux hommes regardent discrètement une des tables. La veille au soir, les participants venus d’Arabie saoudite et de la milice houthie, du Yémen, n’acceptaient même pas de s’assoir côte à côte à la table de conférence. Le dialogue direct est la percée qu’espéraient les organisateurs.

MM. Wils et Saif sont des médiateurs de la Berghof Foundation, une fondation spécialisée dans la résolution des conflits et soutenue financièrement par le ministère fédéral des Affaires étrangères via sa direction générale de la prévention des crises, de la stabilisation, de la consolidation de la paix après les conflits et de l’aide humanitaire. L’Allemand et le Yéménite forment une équipe bien rodée : si un participant parle trop longtemps ou si la discussion tourne en rond, ils interviennent à tour de rôle. Parfois avec des formules très nettes, d’autres fois avec une petite provocation ou encore par une pause pour permettre des discussions informelles autour de la machine à café, dans le couloir.

Les habitudes ne changent pas. M. Wils se tient au milieu de tables agencées en U. Derrière lui, deux grands panneaux recouverts de fiches. Tous les points évoqués le matin par des représentants des différentes parties en conflit ont été classés par thématique par son équipe durant la pause de midi : sur les petits cartons, on peut lire « sécurité », « manque de confiance » ou encore « avenir du pays ». M. Wils contrôle le micro, il donne la parole. Un murmure provient de la cabine des interprètes, située au fond de la salle.

Comme un thérapeute, Oliver Wils doit être à l’affût pour savoir quand laisser parler et quand interrompre. Il appelle chacun par son nom, encourage de la tête, récapitule ou reprend : « Ne nous lançons pas dans une partie de ping‑pong ! »

Son collègue, Ali Saif, est assis entre les participants. Il connaît chacune des personnes présentes et a forgé des liens de confiance au Yémen. Il a dû convaincre beaucoup de participants de venir mais aussi arranger les visas, les vols. Il a écouté les réserves de ses interlocuteurs et veille à ce qu’ils se sentent en sécurité. Si les participants ont besoin de distance, il se place entre eux. Si quelqu’un s’exclue des discussions, il le réintègre. Si quelqu’un sort de ses gonds, il se peut qu’il apporte du café et des gâteaux. Et si cela ne suffit pas et qu’un participant quitte la pièce avec fracas, il sort lui aussi pour le ramener à la table des négociations.

Les médiateurs doivent d’abord faire preuve de patience et d’endurance. Mais l’équipe de la fondation Berghof peut difficilement ne pas sentir de pression face à la situation au Yémen, qui semble désespérée. Selon les Nations Unies, les Yéménites sont livrés à une famine rampante et à l’une des plus grandes catastrophes humanitaires mondiales. On déplore même une épidémie de choléra. Depuis 2015, l’Allemagne a multiplié les moyens humanitaires consacrés au Yémen par 25, ce qui en fait le troisième bailleur de fonds de l’an dernier. Mais l’accès des organisations internationales aux populations démunies est dérisoire et les problèmes sont énormes.

Quoi qu’il en soit, l’aide humanitaire ne s’attaque d’ailleurs qu’aux symptômes de la crise. En misant sur la médiation et la stabilisation, le ministère fédéral des Affaires étrangères souhaite travailler sur les causes et les solutions afin de dégager une perspective de paix. Il existe d’ores et déjà une feuille de route des Nations Unies pour les négociations au Yémen. Mais elle ne fonctionne pas. Les belligérants ne sont pas tous prêts à s’y engager sérieusement.

Ne pas fermer les canaux de communication et préparer les négociations

« Nous essayons de préparer les négociations de l’ONU », explique Ali Saif. « Nous ne pouvons pas arrêter la guerre pour le moment [avec ces pourparlers de paix officieux], mais nous pouvons limiter les agressions et veiller à ce qu’il subsiste encore des contacts. » La Berghof Foundation crée pour cela des espaces qui n’existent plus au Yémen sous cette forme et avec des représentants de haut niveau. Les rencontres ont lieu en Jordanie, au Liban, à Berlin. La fondation fait partie des très rares organisations internationales qui disposent de canaux de communication de haut niveau avec toutes les parties en conflit au Yémen.

Pour commencer, le grand art de la médiation consiste à inviter les bonnes personnes au bon moment. Sont‑elles prêtes à dialoguer ? Peuvent‑elles vraiment représenter la direction politique de leur groupe ? Respecter les accords passés ? Les décisions ne sont pas simples car la guerre civile du Yémen est très compliquée : des foyers de discorde brûlant depuis longtemps, des conflits ravivés par le printemps arabe, un État qui a toujours été faible et des États voisins qui interviennent parce qu’ils considèrent leurs intérêts sécuritaires menacés.

Oliver Wils connaît ce conflit à fronts multiples sur le bout des doigts. Les Houthis, groupe rebelle du Nord, à la frontière avec l’Arabie saoudite, y jouent un rôle central. Ils se réclament du zaïdisme, mouvance chiite, et ont des liens assez distendus avec l’Iran, qui se considère comme le protecteur de tous les Chiites. Ils se sont surtout alliés en 2014 à l’ancien président du Yémen, Ali Abdallah Saleh, un Sunnite chassé du pouvoir au cours du printemps arabe. C’est cette alliance qui a réussi à son tour à chasser le gouvernement du président Abd Rabbo Mansour Hadi, reconnu par la communauté internationale, de la capitale Sanaa.

Du point de vue de l’Arabie saoudite, l’Iran, ennemi héréditaire, récupérait ainsi indirectement le contrôle du Yémen. Inacceptable pour Riyad, qui se considère comme puissance protectrice des Sunnites. Le Royaume saoudien et d’autres États du Golfe se sont rangés du côté du président Hadi. Depuis lors, l’alliance militaire constituée autour de l’Arabie saoudite bombarde son voisin et surtout sa capitale Sanaa.

Après une riposte des Houthis qui ont à leur tour lancé des missiles sur Riyad, l’Arabie saoudite a bloqué les installations portuaires et aéroportuaires du pays pendant plusieurs semaines, fin 2017. La tentative de l’ancien président Saleh d’ouvrir des pourparlers avec l’Arabie saoudite pour lever le blocus a été qualifiée de haute trahison par les Houthis, causant la fin de l’alliance. S’en sont suivis de violents combats entre les troupes de Saleh et des Houthis à Sanaa, qui se sont soldés entre autres par la mort de Saleh le 4 décembre. Les Houthis ont repris le contrôle de la capitale yéménite.

Cependant, ce n’est pas qu’une question de pouvoir, mais aussi d’émotions. Tous ont perdu des membres de leur famille ou des amis et ont vécu et vu d’immenses souffrances. C’est pourquoi Oliver Wils et Ali Saif considèrent déjà comme un grand succès le fait que toutes les personnes invitées soient venues à Berlin et aient siégé et discuté à la même table. Ils espèrent que leur prochaine réunion débouchera sur des accords concrets en termes de sécurité et de mesures de confiance. La route de la paix est encore longue, mais chaque pas, même petit, compte. « Je suis un optimiste, tout simplement », indique Oliver Wils. « Il faut croire soi‑même que c’est possible. »

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