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Discours de la ministre fédérale des Affaires étrangères Annalena Baerbock lors du débat général de la 79e Assemblée générale des Nations Unies

26.09.2024 - Discours

Nous vivons dans un monde où les titres défilent rapidement et où les slogans défilent encore plus vite.

« Take back control » – « Reprenons le contrôle. »
« My country first  » – « Mon pays d’abord. »
«  Us versus them » – « Nous contre eux. »

Ce sont là des slogans qui brossent un tableau en noir et blanc du monde. Des slogans qui veulent nous faire croire que les choses sont très simples. Que seul un côté compte.

« Nous contre eux. »

Je viens d’un pays où cette logique du « nous contre eux » a débouché sur le pire extrême qu’ait jamais connu l’humanité : une guerre mondiale meurtrière qui fit des millions de victimes.

Et le pire crime imaginable contre l’humanité : la Shoah, le génocide de six millions de Juives et de Juifs qu’on a privés de leur humanité et assassinés pour la simple raison qu’ils étaient juifs. Qui ont été assassinés à cause d’une idéologie des nazis, pour qui la seule humanité acceptée était celle de ceux qu’ils définissaient eux‑mêmes comme « Allemands ».

Après la Seconde Guerre mondiale, cette institution ici à New York a été fondée, partant du constat que le « nous contre eux » mène tout droit à la perdition. Que le monde a besoin d’un contre‑modèle : notre Charte des Nations Unies.

Le contre‑modèle par rapport à un monde dans lequel on voit uniquement sa propre humanité mais pas celle des autres.

Un contre‑modèle qui, au lieu de cela, garantit à chaque pays du monde le droit de déterminer sa propre destinée et qui brosse un tableau positif de notre avenir commun : celui d’un ordre international se basant sur des règles et sur l’égalité de tous les États et de tous les êtres humains, celui de la coopération plutôt que du nationalisme qui divise, celui d’une humanité qui est indivisible.

Ce ne sont pas là des slogans simplistes.
Ce sont les principes vers lesquels nous essayons de nous orienter quotidiennement.
Mais il est tout sauf facile de les mettre en œuvre.

Cela exige un travail acharné, peut‑être plus qu’auparavant.
Cela exige de l’empathie et de la solidarité, c’est‑à‑dire l’inverse de « mon pays d’abord ».
Cela exige la volonté de se mettre à la place d’autrui.
Cela exige, en temps de crise en particulier, d’avoir la force de reconnaître la souffrance de l’autre, même si notre propre souffrance semble insupportable.
Et cela exige de trouver une base commune malgré tout ce qui nous sépare.

Cela signifie également que nous devons faire face au dilemme selon lequel les valeurs inscrites dans la Charte semblent parfois contradictoires. Comme le droit de légitime défense et l’obligation de protéger la population civile lorsque des civils sont utilisés comme boucliers humains.

Résoudre cette contradiction est plus difficile que de tonitruer simplement « c’est soit ça, soit ça » ou « nous contre eux ».

Cela vaut précisément aujourd’hui, à l’ère des réseaux sociaux, où des vérités simplistes propagées sur TikTok semblent effacer tout ce qui est compliqué et toutes les nuances, et parfois même les faits.

On le voit aussi en ce qui concerne la guerre au Proche‑Orient. Dans son attaque infâme du 7 octobre de l’année dernière, le Hamas a mutilé ou tué près de 1 200 hommes, femmes et enfants. Jusqu’à ce jour, les terroristes retiennent plus de cent hommes, femmes et enfants en otage. Parmi eux se trouvent des ressortissants allemands, dont des enfants. Dans le même temps, des enfants affamés et traumatisés dans la bande de Gaza arpentent les ruines des maisons qui furent autrefois les leurs et cherchent désespérément leurs parents dans les décombres.

Quand on voit tout cela le cœur meurtri, le fait que l’on se laisse parfois entraîner par des slogans simplistes et que l’on soit tentés de ne voir qu’un côté des choses n’est peut‑être qu’une réaction humaine.
Chacune et chacun d’entre nous perçoit ce conflit de son propre point de vue et dans le contexte de son histoire personnelle. Nous devons respecter cela. Toutefois, nous ne devons pas en rester là.

Nous devons plutôt nous demander nous‑mêmes : « Et si c’était moi ? Et si c’étaient mes enfants ? »

La proche d’un des otages l’a un jour exprimé en ces termes : « Il ne peut y avoir de gagnant dans une compétition de la souffrance. » L’humanité est universelle. Si la mère d’un otage assassiné réussit, à l’heure la plus sombre de sa vie, de voir les deux côtés, alors nous, les responsables politiques du monde qui avons le privilège de nous exprimer dans cette salle, devrions aussi en être capables.

Ne pas se laisser entraîner par les slogans qui défilent rapidement, mais œuvrer ensemble pour l’humanité afin de briser ce cercle vicieux de la haine.
L’humanité universelle signifie que les droits des Israéliens et des Palestiniens ne s’annulent pas réciproquement.

C’est pourquoi mon pays confirme son engagement pour la sécurité de l’État d’Israël. Et c’est pourquoi nous œuvrons aussi chaque jour pour mettre fin à cet enfer pour les enfants dans la bande de Gaza.

Car une sécurité durable pour les Israéliens ne sera possible que s’il y a une sécurité durable pour les Palestiniens. Et inversement : une sécurité durable pour les Palestiniens ne sera possible que s’il y a une sécurité durable pour les Israéliens.

C’est pourquoi nous ne lâcherons rien jusqu’à ce que les otages reviennent chez eux.

C’est pourquoi nous nous engageons avec une telle vigueur pour un cessez‑le‑feu. Pour le plan du président américain Biden entériné par le Conseil de sécurité.

Et c’est pourquoi nous nous engageons dans le même temps, aux côtés de nos partenaires, avec une telle vigueur pour que davantage d’aide humanitaire soit acheminée dans la bande de Gaza. À elle seule, l’Allemagne a fourni plus de 360 millions d’euros d’aide humanitaire à la bande de Gaza depuis octobre dernier.

C’est pourquoi je me suis rendue onze fois dans la région depuis le 7 octobre.

Et c’est pourquoi nous nous sommes réunis hier avec un groupe d’États afin d’exiger un cessez‑le‑feu immédiat de 21 jours le long de la ligne bleue. Car une nouvelle escalade dans la région ne permettrait d’apporter une sécurité à long terme à personne.

Et même si, pour dire la vérité, l’absence de progrès peut être frustrante, nous ne renonçons pas à développer une vision politique pour qu’Israéliens et Palestiniens puissent vivre en paix, côte à côte, dans deux États.

Pour moi, la résignation n’est pas une option. Car cela voudrait dire que le scénario du terrorisme et de l’extrémisme triomphe.

Nous devons reconnaître la souffrance et les intérêts de l’autre et, oui, entendre aussi ses plaintes si nous voulons aller de l’avant.

Si nous faisons cela, nous serons parfois peut‑être confrontés à des choses que nous ne voulons pas entendre : nos propres erreurs.

Je me souviens lorsque j’ai appelé, il y a deux ans et demi, nombre de collègues ici dans cette salle et dans le monde entier pour leur demander leur soutien face à la guerre impérialiste de la Russie en Ukraine.

Un collègue m’a alors demandé : « Mais où étiez‑vous lorsque nous avions besoin de vous ? Lorsque nous étions attaqués par les Houthis ? » Et d’autres collègues ont déclaré : « Vous ne nous avez pas aidés lorsque nous nous sommes battus contre le colonialisme ! »

Cela m’a fait réfléchir. Car ils n’avaient pas tort.

Je suis fermement convaincue qu’analyser d’un œil critique les erreurs que nous avons commises ou que les générations avant nous ont commises dans nos pays constitue un avantage pour nous.
Parce que la capacité à apprendre des erreurs du passé rend les sociétés plus fortes.
Et parce que c’est le seul moyen de construire un avenir meilleur.

Mon pays, l’Allemagne, a donc commencé à se pencher de manière plus approfondie sur son passé colonial. La restitution d’objets constitue un élément central à cet égard.

Aussi nous trouvons‑nous au milieu d’un processus de réconciliation important avec la Namibie.

Nous ne pouvons pas revenir sur les erreurs du passé.
Mais nous pouvons œuvrer ensemble à un avenir meilleur. Nous pouvons décider de faire cela chaque jour, à travers nos actions.

À mes yeux, il est juste que nous nous intéressions à notre passé colonial. Cela signifie cependant aussi que nous devons nous opposer aux atrocités impérialistes que nous vivons aujourd’hui.

La Russie n’a pas prévu d’avenir meilleur pour l’Ukraine.

L’Ukraine est un État indépendant qui a renoncé à ses armements nucléaires dans les années 1990, car elle était convaincue par les principes et les garanties de cette Charte.
Et par les organes de l’ONU tels que le Conseil de sécurité.

Trente ans plus tard, l’Ukraine est attaquée par un pays qui est l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, l’un des pays qui, selon la Charte, portent « la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales ».

La guerre de la Russie contre l’Ukraine détruit depuis maintenant près de 1 000 jours des villes, des écoles et des hôpitaux ukrainiens.

Et elle détruit aussi l’ordre de sécurité de mon continent, l’Europe.
Ses répercussions touchent d’innombrables personnes dans le monde entier.
Vous êtes nombreux à sentir les conséquences de cette guerre dans vos propres pays, par exemple en ce qui concerne le prix des aliments.

Je comprends donc que certains d’entre vous, comme c’était le cas il y a deux jours au Conseil de sécurité, demandent : « La guerre ne serait‑elle pas terminée si vous, les Européens, arrêtiez simplement de livrer des armes à l’Ukraine ? »

Il est légitime de poser cette question. Nous aspirons en effet tous à la paix. Il est cependant à la fois facile et erroné de penser que si l’Ukraine ne disposait pas d’armes pour se défendre, il n’y aurait ni combats ni morts.

Nous avons vu ce qui s’est passé au mois de juin, lorsque l’Ukraine a invité la Russie à un sommet international pour la paix.

Au lieu de cesser son attaque et de venir à la table des négociations, la réaction de Poutine fut de bombarder un hôpital pour enfants.

Tant que Poutine n’est pas prêt à prendre place à la table des négociations, la fin de notre soutien à l’autodéfense de l’Ukraine aurait pour seule conséquence que les hôpitaux pour enfants en Ukraine soient sans protection.

Il en résulterait non pas moins, mais plus de crimes de guerre, potentiellement aussi dans d’autres pays.

Au cours des derniers mois, la Russie de Poutine a régulièrement joué avec l’inviolabilité des frontières des États baltes et de la Pologne.

Il y a deux semaines, la Russie a tiré un missile sur un navire civil, qui transportait des céréales, dans les eaux territoriales de la Roumanie.

C’est pourquoi je sollicite aujourd’hui aussi votre soutien. Votre soutien pour sommer Poutine de cesser ses attaques et de s’asseoir à la table des négociations. Non seulement dans l’intérêt de notre sécurité européenne, mais également dans votre intérêt propre.

Si un membre permanent du Conseil de sécurité peut impunément agresser et détruire son voisin plus petit, c’est l’essence même de cette Charte qui s’en trouve attaquée.

Si la Russie met fin à ses attaques, la guerre sera terminée. Si l’Ukraine arrête de se défendre, il en sera fini d’elle. Et de notre Charte.

Égalité souveraine, article 2, paragraphe 1.
Règlement des différends par des moyens pacifiques, article 2, paragraphe 3.
Non‑recours à l’emploi de la force, article 2, paragraphe 4.

Voilà pourquoi nous resterons fermement aux côtés de l’Ukraine et que nous protégerons notre Charte, afin de parvenir à une paix juste et durable avec des garanties de sécurité.

Une paix qui garantit que l’Ukraine puisse subsister en tant que pays libre et indépendant.

Une paix qui garantit la sécurité de l’Ukraine et de l’Europe, et donc notre sécurité à tous.

Bien sûr, rien de tout cela n’est facile.

Cela fait presque 1 000 jours que de nombreux pays œuvrent pour que les enfants ukrainiens puissent de nouveau dormir dans leurs lits et n’aient plus à passer la nuit dans des abris antiaériens.

Cela fait près d’un an que nombre d’entre nous s’engagent pour mettre fin à la souffrance au Proche‑Orient, lors d’innombrables entretiens dans la région et d’innombrables réunions des organes de l’ONU. Et oui, le désespoir m’envahit parfois moi aussi.

Mais rester les bras croisés et se résigner n’est pas une option. Car dans ce cas‑là, c’est la logique du « nous contre eux » qui l’emporterait.

Par ailleurs – il me tient à cœur de le souligner –, en période de crise comme celle que nous vivons, nous avons tendance à oublier une chose : que chaque jour où nous unissons nos forces en tant que communauté internationale, nous pouvons accomplir beaucoup de choses – et nous en avons déjà accompli beaucoup. Quand nous adoptons le point de vue de l’autre.

Pour ne citer que deux exemples récents qui sortent du lot, pensez à ce que nous avons accompli, il y a un an seulement, lors de la COP à Doubaï. Lorsque nous avons vu ce qu’il est possible de faire si nous surmontons le « nous contre eux ». États industrialisés contre G77. Pays du Sud contre pays du Nord.

Lorsqu’au lieu de cela, nous avons dans un premier temps écouté ceux qui sont les plus touchés par la crise climatique et nos partenaires que sont les petits États insulaires en développement, qui nous racontent depuis des décennies que la crise du climat menace leur existence. Et qu’elle représente la plus grande menace pour la sécurité du monde entier. Lorsqu’à la fin, nous sommes convenus, avec plus de 190 États, de sonner le glas de l’ère des combustibles fossiles lors de la COP 28. Lorsque nous avons lancé le Fonds pour les pertes et les préjudices pour les pays les plus menacés.

Au début de cette semaine aussi, lorsque nous avons adopté le Pacte pour l’avenir, nous avons vu ce qu’il était possible de réaliser. Plus de deux ans de négociations de longue haleine, des centaines d’heures de travail rédactionnel dans des salles de conférence, des séances de nuit et des compromis de dernière minute ont pour cela été nécessaires.

Nombreux sont ceux qui ont contribué à cette entreprise et qui ont persévéré, comme nos partenaires namibiens et de nombreux autres. Finalement, la très grande majorité d’entre nous a trouvé la force de soutenir ce qui nous unit :

des règles au lieu d’un nationalisme brutal,
la coopération au lieu de la division,
une humanité universelle.

C’est précisément dans cet esprit que l’Allemagne est candidate à un siège non permanent au Conseil de sécurité pour la période 2027-2028.

Nous sommes candidats en tant que défenseurs de la Charte, en tant que défenseurs de nos principes communs. Cela signifie également que nous devons jeter un regard critique sur le statu quo de nos institutions multilatérales. Car à bien des égards, notre système multilatéral reflète toujours une période où quasi aucun d’entre nous ici dans cette salle n’était déjà né. Où les 142 États représentés aujourd’hui dans cette salle n’étaient pas encore assis aussi nombreux à la table des négociations.

Il faut que cela change. Par conséquent, nous nous engageons en faveur d’une réforme du Conseil de sécurité, pour qu’il représente de manière plus appropriée le monde dans lequel nous vivons. Pour que les États africains soient mieux représentés.

Et oui, il est tout à fait injuste que les deux principales institutions financières internationales soient dirigées uniquement par des Européens et des Américains.

Nos institutions doivent être acceptées par nous tous et cela présuppose qu’elles nous représentent tous.

Et ce « tous » n’englobe pas uniquement les hommes de ce monde.
Ce que nous avons de toute façon tous en commun, c’est que dans chaque pays, les femmes représentent au moins 50 % de la population.

Mais en 80 ans d’existence de cette organisation, il n’y a encore jamais eu de femme au poste de secrétaire général.

Si cette organisation réclame l’égalité et la justice dans le monde, alors il est grand temps que nous donnions l’exemple, ici à New York.

Nous devrions sans doute tous déjà nous entraîner à dire « Madame la Secrétaire générale, vous avez la parole ! »

Car le prochain secrétaire général des Nations Unies devrait être une femme.
Bien évidemment, cela ne suffira pas à gommer toutes les inégalités qui touchent encore les femmes dans nos pays. Nous venons des quatre coins du monde pour cette Assemblée générale, et aucun de nos pays n’a jamais atteint la pleine égalité des sexes. Je suis d’avis que ce n’est qu’ensemble que nous y parviendrons, en apprenant les uns des autres et en militant pour les droits des femmes – pas seulement dans nos pays respectifs, mais partout.

Car les droits des femmes sont les droits humains et ne sont pas que l’affaire du Nord, de l’Ouest, de l’Est ou du Sud.
Ils sont universels.

Aucune d’entre nous n’aimerait être moins bien payée que son collègue homme pour le même travail.
Aucune d’entre nous n’aimerait être violée.
Aucune d’entre nous n’aimerait aller en prison parce qu’on voit ses cheveux.

Aucune femme n’aimerait cela, et vraisemblablement aucun homme non plus.

Car une vie est une vie.
La vie d’une femme palestinienne est une vie.
La vie d’un homme israélien est une vie.
La vie d’une petite fille soudanaise est une vie.
La vie d’un petit garçon ukrainien est une vie.

C’est justement pour cette raison que les Nations Unies ont été créées il y a 80 ans. Partant du principe que les slogans simplistes et que le « nous contre eux » mène tout droit à la perdition.
Que l’humanité est indivisible.

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