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Discours de la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock devant le Bundestag 30 ans après le génocide commis contre les Tutsis au Rwanda

11.04.2024 - Discours

Le mémorial du génocide à Kigali est un lieu d’apparence paisible, avec sa terrasse ensoleillée, ses pelouses vert vif et sa vue panoramique jusqu’à la vallée depuis le haut de la colline. Mais cette colline recèle l’horreur absolue. 250 000 corps y sont enterrés : il s’agit de femmes, d’hommes et d’enfants qui habitaient à Kigali et dans ses environs jusqu’en 1994. Il s’agit de personnes qui furent assassinées par leurs compatriotes : des élèves assassinés par leurs professeurs, des patients assassinés par leurs médecins, des voisins assassinés par leurs propres voisins. Leur histoire nous rappelle ce que les hommes sont capables de faire à d’autres êtres humains.

Mais elle nous rappelle également, et je vous remercie que vous nous permettiez aujourd’hui de nous en souvenir, que la communauté internationale a failli au Rwanda ; car elle a voulu ignorer ce qu’il s’y passait. En Allemagne, les massacres ont tout d’abord été qualifiés, je cite, de « rivalités tribales », un terme à connotation clairement raciste, ou encore de « guerre de brousse », comme si cela ne nous concernait absolument pas, comme s’il n’était pas question d’êtres humains. Comme si ce n’étaient pas non plus les puissances coloniales, y compris l’administration coloniale allemande, qui avaient contribué au XXe siècle à diviser de plus en plus le Rwanda en prétendues catégories ethniques, les Tutsis et les Hutus.

La dure réalité, c’est que les signes avant-coureurs de ce massacre apparurent bien avant le mois d’avril 1994 : les camps d’entraînement des milices, les machettes qui étaient distribuées dans tout le pays, la haine et la campagne de dénigrement à la radio ainsi que les attaques contre les femmes, les adolescents, les viols incroyablement nombreux et exercés de manière méthodique. Et pourtant, les 2 500 casques bleus n’ont pas non plus réagi face à ces signaux d’alarme car ils n’étaient pas autorisés à réagir de manière assez résolue face à la violence.

Pour nous, pour moi en tant que ministre des Affaires étrangères allemande, le principal enseignement que nous tirons du Rwanda, c’est que nous devons prendre nos responsabilités, tant pour notre action que pour notre inaction.

Nous avons donc travaillé au cours des 30 dernières années et corrigé les erreurs du passé. C’est pourquoi l’Allemagne investit aujourd’hui bien davantage dans la prévention et l’identification précoce des crises. Le ministère fédéral des Affaires étrangères a mis en place un service qui est consacré à l’analyse des données de masse, à l’analyse des risques et qui envisage différents scénarios de crise. Nous apportons une aide humanitaire préventive afin d’éviter que les souffrances ne s’accroissent. C’est pourquoi je dis aujourd’hui aussi, car nous devons être très attentifs, que notre propre défaillance il y a 30 ans ne doit pas nous amener aujourd’hui à détourner notre regard lorsque nous percevons des signaux d’alarme, mais que nous devons au contraire rester vigilants à travers le monde entier, en particulier dans cette région dans le contexte de l’escalade de la violence dans l’Est du Congo.

Et nous avons changé de mentalité, notamment grâce aux leçons tirées du génocide au Rwanda. Nous avons compris qu’il est également dans notre propre intérêt de nous engager pour un monde régi par la force du droit et non par le droit du plus fort, car ce droit et ces valeurs représentent nos intérêts, car notre propre vie n’en est que plus sûre.

Le deuxième enseignement que nous tirons du Rwanda pour la République fédérale d’Allemagne, c’est que regarder de près, c’est aussi ne pas laisser les responsables impunis.

Le Tribunal pénal international pour le Rwanda a condamné 61 responsables pour le compte du Conseil de sécurité. En Allemagne également, l’un des responsables a été condamné des dizaines d’années plus tard par le Tribunal régional supérieur de Francfort. Il s’agissait d’une première dans l’histoire du droit pénal international. Quant au Rwanda, les tribunaux communautaires villageois traditionnels y ont connu une renaissance à l’occasion de milliers de procès. Et c’est ce qui nous anime aujourd’hui : ce principe de la compétence universelle qui fait que nous pouvons inculper des personnes chez nous pour des génocides plus récents également, lorsque ce n’est pas possible auprès de la Cour pénale internationale.

Il s’agit là aussi d’un enseignement positif : lorsque les victimes et leurs descendants ont la certitude que les responsables ne s’en sortiront pas en toute impunité, ils parviennent un jour à accorder leur pardon. À Kigali, sur les terrasses du mémorial du génocide, on ressent encore aujourd’hui combien il est difficile de pardonner, combien les blessures sont profondes. Mais l’on y ressent également un grand espoir : l’espoir que cela vaille la peine d’œuvrer à la réconciliation. Sur l’un des murs du mémorial, bien au-dessus des fosses du passé, figure une phrase qui me touche encore aujourd’hui lorsqu’on la déchiffre sur place. Je cite : « S’il est possible d’établir la paix après le génocide au Rwanda, c’est possible partout ailleurs. »

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