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Tribune de Heiko Maas et de son homologue Jean-Yves Le Drian dans « Le Monde »

17.11.2020 - Interview

L’Europe et l’Amérique doivent inventer ensemble une nouvelle donne transatlantique. Il est urgent de repenser notre partenariat à la lumière des bouleversements qui redessinent aujourd’hui le monde, en nous appuyant sur les liens profonds et anciens qui nous unissent autour de valeurs communes et d’intérêts partagés.

La France et l’Allemagne veulent y travailler en lien avec le futur président Joe Biden et la future vice-présidente Kamala Harris, qui partagent nos convictions quant à la valeur des partenariats internationaux et de l’amitié entre les États-Unis et l’Europe.

Il y a beaucoup à réparer. Les règles et les institutions dont dépendent notre sécurité et la prospérité de nos sociétés sont aujourd’hui mises à mal. De part et d’autre de l’Atlantique, on attend beaucoup de la relance économique et beaucoup reste à faire pour réduire les fractures qui divisent nos pays. Ces défis, nous les avons en partage.

Depuis quatre ans, l’environnement international n’a cessé de se dégrader. L’élection de Joe Biden ouvre la voie à un renforcement de l’unité transatlantique face aux autocrates et aux pays qui cherchent à asseoir leur puissance au mépris de l’ordre international ou des équilibres régionaux. Mais la fermeté sur les principes, bien sûr, n’interdit pas le dialogue et la coopération.

Intérêt à faire front commun

Nous espérons donc que les États-Unis et la Russie parviendront à prolonger le traité New Start [sur les arsenaux nucléaires] au-delà de février 2021. Et, sur toutes les questions touchant à la sécurité européenne, nous sommes prêts à échanger avec Moscou et nous attendons de la Russie qu’elle apporte des réponses constructives. L’Union européenne doit se préparer à tous ces défis.

Nous savons que la Chine restera, sous l’administration Biden, le point focal de la politique étrangère américaine. Pour nous, elle est tout à la fois un partenaire, un concurrent et un rival systémique. Nous avons donc intérêt à faire front commun pour répondre à sa montée en puissance avec pragmatisme, tout en conservant les canaux de coopération qui nous sont nécessaires pour faire face, avec Pékin, aux défis globaux que sont la pandémie de Covid-19 et le changement climatique.

Tout cela n’est possible que si les États-Unis et l’Europe se concertent et se coordonnent, en particulier sur la question des droits humains, des infrastructures numériques et du commerce. Nous demandons par ailleurs aux États-Unis de revenir à une approche commune face à l’Iran, afin que nous puissions, ensemble, nous assurer que le programme nucléaire iranien ne vise que des fins pacifiques et apporter une réponse aux autres défis que ce pays fait peser sur notre sécurité et sur la région.

Une Europe différente

Il nous faudra aussi définir une ligne commune face aux comportements de la Turquie, qui posent des problèmes importants en Méditerranée orientale et ailleurs. Enfin, nous devrons lutter ensemble contre le terrorisme et la radicalisation, ces fléaux qui menacent notre sécurité et nos sociétés.

Depuis quatre ans, l’Europe aussi a changé : nous nous sommes renforcés. Aujourd’hui, les Européens ne se demandent plus seulement ce que l’Amérique peut faire pour eux, mais nous nous demandons surtout ce que nous devons faire nous-mêmes pour défendre notre propre sécurité et forger un partenariat transatlantique plus équilibré, si bien que ces deux dimensions sont désormais indissociables.

De fait, nous avons, au cours des dernières années, fait des pas importants dans la construction de notre souveraineté européenne. Nous développons des capacités communes de défense et de sécurité, qui servent d’ailleurs à renforcer aussi bien l’Union européenne que l’OTAN. Du Sahel au Moyen-Orient, en passant par la Méditerranée, le Proche-Orient et le Golfe, l’Europe assume d’ores et déjà une responsabilité accrue dans la sécurité de son environnement régional.

Vers la consolidation du multilatéralisme

C’est le chemin que nous continuerons à suivre. Dans quelques semaines, un groupe d’experts de haut niveau présentera ses recommandations pour que l’OTAN gagne en efficacité dans l’accomplissement de ses missions. Nous attachons d’autant plus de prix à cette réflexion qu’il y va également de l’avenir du partenariat transatlantique.

Notre sécurité passe aussi par les réponses communes que nous saurons apporter aux défis globaux du XXIe siècle. Nous nous félicitons de l’annonce par Joe Biden du retour prochain des États-Unis dans l’accord de Paris et à l’Organisation mondiale de la santé. Nous voulons y voir le point de départ d’une entreprise transatlantique de consolidation du multilatéralisme, qui permettra de le mettre pleinement en phase avec les défis d’aujourd’hui et de demain.

C’est la seule attitude qui vaille, dans un monde où l’idée que l’ordre international doit être fondé sur des règles trouve de plus en plus de détracteurs. Que ce soit pour parvenir à une juste répartition internationale des vaccins et des médicaments sans lesquels nous ne saurions venir à bout du Covid-19 ou pour assurer le redémarrage de l’économie mondiale, il est crucial que l’Europe et les États-Unis travaillent main dans la main.

La recherche de solutions concertées

Voilà comment, dans le monde d’aujourd’hui, nous pourrons rester des vigies au service de la paix, de la stabilité, de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’homme. Bien sûr, nous savons que nous ne tomberons pas d’accord sur tout, et qu’il nous faudra résoudre les différends sur les droits de douane, les sanctions, les taxes et les subventions qui, au fil des dernières années, ont mis notre partenariat à rude épreuve.

Mais nous sommes prêts à œuvrer avec l’Amérique pour trouver les solutions concertées et agir ensemble. Au fond, l’enjeu est simple : donner aux Européens et aux Américains de demain les moyens de continuer à cultiver le mode de vie qui nous rassemble et de porter plus loin que notre génération aura su le faire la quête de liberté individuelle et de progrès collectif qui, depuis plus de deux siècles, constitue notre horizon commun.

Qui mieux qu’une Europe et une Amérique unies plus étroitement encore, dans l’évidence de notre partenariat de toujours, pour porter cette vision ?.« 

Source : Le Monde - édition du 16 novembre 2020


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