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« Cela fait longtemps que les mots ne suffisent plus »

27.01.2020 - Interview

Tribune de Heiko Maas, ministre fédéral des Affaires étrangères, à l’occasion de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste en 2020, publiée sur le site spiegel.de.

Le ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas, visite le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz, août 2019
Le ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas, visite le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz, août 2019© Xander Heinl/photothek.net

« À Halle, je me sentais chez moi. » Cette phrase fait partie des choses les plus tristes que j’ai entendues depuis longtemps. C’est Max Privorozki qui l’a prononcée, président de la communauté juive de Halle, une communauté qui a échappé de justesse à un massacre en octobre dernier. Cette phrase exprime bien tout le désespoir suscité par le fait que l’antisémitisme fait à nouveau partie du quotidien des juives et des juifs en Allemagne. Chaque jour, ils se font attaquer ouvertement dans nos rues ou menacer et insulter sur Internet. Rien qu’à Berlin, plus de 400 agressions de ce type ont été recensées en six mois – plus de deux par jour. Au vu de ces chiffres, cela ne m’étonne même pas que presque un juif sur deux en Allemagne ait déjà pensé à quitter le pays. La douleur est donc d’autant plus profonde. Nous devons réagir rapidement pour que ces pensées ne deviennent pas la triste réalité et que l’on ne connaisse pas de départs en masse de juives et de juifs d’Allemagne. Le fait que les personnes de confession juive ne se sentent plus chez elles ici est un cauchemar – et une honte, 75 ans après la libération d’Auschwitz.

Cela fait longtemps que les mots ne suffisent plus. À Halle, seule une porte en bois a permis de sauver la vie de plusieurs dizaines de personnes. Nous devons mieux protéger les communautés et établissements juifs, pas seulement en Allemagne, mais partout en Europe. Concrètement, nous allons verser cette année un demi-million d’euros à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe à cet effet.

Mais bien entendu, cela ne suffira pas. Les auteurs de crimes comme celui de Halle disposent d’un réseau international, ils se radicalisent sur Internet, par-delà les frontières. Et peu importe si ces attentats ont pour cible un musée juif à Bruxelles, un hypermarché kasher à Paris ou une synagogue en Allemagne : chaque attaque contre la vie juive est une attaque contre l’Europe, contre notre culture et nos valeurs. Car l’antisémitisme est aux antipodes de tout ce que représente l’Europe : la tolérance, la liberté, la dignité humaine.

Nous, Allemands, nous devons de réagir fermement, pas seulement à cause de notre histoire : nous assumerons cet été la présidence du Conseil de l’Union européenne ainsi que celle du Conseil de l’Europe au mois de novembre. Et dans quelques semaines seulement, nous prendrons pour la première fois la direction de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste. Dans toutes ces institutions, la lutte contre l’antisémitisme doit être un thème prioritaire.

  • Il y a un an, tous les États membres de l’UE se sont engagés à développer des stratégies contre l’antisémitisme. Dans ce cadre, l’Allemagne se doit d’avancer. Trop peu d’États membres ont des délégués nationaux à la lutte contre l’antisémitisme. Il faut que cela change. Nous avons besoin d’un réseau européen de délégués de tous les États membres qui mutualisent les efforts de lutte contre l’antisémitisme dans le cadre d’un plan d’action européen. Ces efforts incluent aussi bien la poursuite des auteurs et une meilleure protection des établissements juifs que des mesures éducatives et d’intégration.
  • Même avant Halle, nous savions que la brutalité verbale donnait un jour ou l’autre lieu à des actes brutaux. Nous devons agir là où la haine et le dénigrement prennent des formes de plus en plus extrêmes : sur Internet et dans les médias sociaux. Pendant notre présidence du Conseil de l’UE, nous intensifierons la lutte contre les crimes de haine et les campagnes de désinformation sur Internet. Partout en Europe, ceux qui attisent la haine en ligne doivent eux aussi tomber sous le coup de la loi.
  • Personne n’a le droit de nier ou de banaliser le crime contre l’humanité qu’est la Shoah. C’est ce qu’a une fois de plus clarifié la Cour européenne des droits de l’homme il y a quelques semaines. Nous nous engageons pour que tous les États membres de l’UE mettent enfin en œuvre leur engagement de pénaliser la négation de la Shoah.
  • Et à l’échelle internationale aussi, nous voulons nous opposer à la distorsion des faits et aux dangereux mensonges propagés sur la Shoah. Pour ce faire, nous allons créer cette année un réseau international d’experts qui développera des contre-stratégies, une task force mondiale contre la négation de la Shoah.
  • Un tiers des jeunes européennes et européens disent savoir peu de choses, voire rien du tout sur la Shoah. Chez les jeunes Allemands, ce chiffre est même encore plus élevé. Le souvenir des millions de meurtres commis menace de s’estomper, aussi parce que, malheureusement, de moins en moins de survivants sont en mesure de témoigner. C’est la raison pour laquelle l’éducation sur la Shoah revêt de plus en plus d’importance – dans les mondes réel et numérique, de l’école primaire à l’université. Dans ce contexte, nous faisons des progrès dans nos écoles à l’étranger. Le Centre fédéral pour l’éducation politique devrait se réunir avec d’autres organismes équivalents européens afin de développer des lignes directrices communes pour l’éducation et le travail de mémoire sur la Shoah.

Il nous faut une politique plus résolue et qui fait davantage bouger les choses dans la lutte contre l’antisémitisme. Mais il y a une chose que la politique ne peut faire, c’est de remplacer la solidarité au quotidien. Cette solidarité sera uniquement possible si chacun d’entre nous se positionne clairement contre l’antisémitisme : dans la rue, dans la cour d’école et sur Internet. Ce n’est que de cette façon que nous pourrons convaincre des personnes comme Max Privorozki qu’elles sont et demeureront chez elles en Allemagne et en Europe. Que les juives et les juifs ont leur place ici, en tant que membres de notre société. Et que nous sommes sérieux quand ces jours-ci, 75 ans après la libération d’Auschwitz, nous disons : plus jamais !

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