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Message de bienvenue de la Ministre adjointe Michelle Müntefering à l’occasion de la soirée commémorative et éducative franco-allemande le 15 novembre 2018 à 19h00 à la Würth-Haus

16.11.2018 - Discours

Madame la Secrétaire générale,
Cher Monsieur Klinkert,
Cher Monsieur Kurz,
Chers jeunes,
Chers invités,

Quelle histoire ! Quelles images !

La chancelière fédérale Angela Merkel posant son front contre la joue du président français Emmanuel Macron.

Ensemble, ils rendent hommage aux victimes de la Première Guerre mondiale, ensemble, ils lancent un signal pour l’avenir, côte à côte. Et quel mot salutaire et profond choisi par Emmanuel Macron pour accompagner cette image sur Twitter : Unis.

Mesdames, Messieurs,

Qui aurait imaginé qu’après deux guerres mondiales dévastatrices, après deux agressions de la France par son voisin l’Allemagne, cela serait possible un jour ?

C’est effectivement un miracle de l’Histoire – si tant est que l’Histoire connaisse une telle catégorie – mais un miracle humain. Car l’Histoire, qu’elle soit belle ou qu’elle soit terrible, est toujours faite par les hommes.
La réconciliation, la coopération et l’amitié au-delà des frontières nationales, tout cela doit naître de notre volonté.

C’est pourquoi il vaut la peine, malgré les revers, malgré le poison populiste qui menace de contaminer une fois de plus nos sociétés, de lutter sans relâche, jour après jour, pour défendre et préserver la démocratie.

Pour cela, il faut du courage mais aussi de l’humilité.

Le président fédéral Frank-Walter Steinmeier l’a dit clairement dans son discours du 9 novembre que je qualifierais d’historique : nous devons puiser ce courage dans la démocratie. Or avoir du courage est aujourd’hui bien plus simple que cela ne l’a été pendant de nombreuses années de notre histoire !
Et à mon avis, c’est un discours que tous les élèves devraient lire dans les écoles !

Mesdames, Messieurs,

Il y a un an, le président de la République fédérale d’Allemagne Frank-Walter Steinmeier et le président français Emmanuel Macron inauguraient ensemble le mémorial franco-allemand du Hartmannswillerkopf, cette saillie rocheuse dans les Vosges surnommée « montagne de la mort » ou « mangeuse d’hommes » parce qu’elle témoigne avec une force particulière des horreurs de la Grande Guerre. C’est ici en effet qu’Allemands et Français s’affrontèrent âprement pour essayer de gagner ne serait ce qu’un mètre de terrain.
Le bilan fut monstrueux : près de 30 000 morts.

De jeunes soldats qui avaient toute la vie devant eux mais à qui l’on avait inculqué si profondément la haine de l’autre, de l’ennemi soi disant « héréditaire » qu’ils étaient prêts, et souvent même avec ferveur, à tuer et à mourir pour l’idée de la prétendue supériorité de leur nation.

Ceux qui doutaient du sens de cette mission furent menacés des peines les plus dures et envoyés sans pitié au combat.

Verdun aussi est un tel lieu de terreur.

Au bord de la Somme ou lors de la bataille des Frontières en 1914, on comptait parfois vingt cinq à trente mille morts en une seule journée.

La Première Guerre mondiale marqua une rupture au début du XXe siècle, la « catastrophe originelle », pour reprendre l’expression de l’historien George F. Kennan.

Elle anéantit l’espoir de progrès et révéla le potentiel dévastateur de l’époque moderne industrielle.

Mesdames, Messieurs,

Nous avons du mal aujourd’hui à comprendre ce qu’Allemands et Français ont pu s’infliger pendant la Première puis pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque l’Allemagne envahit son voisin à nouveau, aveuglée une fois de plus par le nationalisme et un fascisme obscur.

Personne n’aurait imaginé à l’époque que nos deux pays deviendraient un jour des partenaires étroits, des amis.
À plus forte raison après les atrocités sans nom de la Shoah.

En Allemagne, nous sommes aujourd’hui reconnaissants d’être aux côtés de la France et de nos partenaires européens, reconnaissants de leur volonté de réconciliation, reconnaissants de l’opportunité de garantir la paix à long terme, intégrés dans un ordre international et multilatéral.

Cher Monsieur Klinkert,

Je vous remercie, en tant que président du Comité du Monument National du Hartmannswillerkopf, de vous engager depuis de nombreuses années déjà avec vos partenaires en faveur de ce mémorial.

Ce sont des lieux comme celui ci qui nous confrontent au passé et peuvent en même temps nous assigner une mission pour l’avenir.

Ce mémorial franco allemand nous rappelle les heures les plus noires de notre histoire commune tout en étant le symbole de l’attachement et de l’amitié qui unissent nos deux pays aujourd’hui.

Je tiens également à remercier notre hôte, le groupe Würth, de son engagement pour les relations franco-allemandes, notamment à travers la promotion des arts et de la culture.
Je pense par exemple au musée Erstein en Alsace qui, au demeurant, fête cette année ses dix ans déjà.

Cela me mène, chers invités, à un point qui me tient particulièrement à cœur.
Alors que nous dressons ces jours ci, à l’occasion du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale, le bilan de l’histoire européenne au fil du XXe siècle en tenant compte également des défis actuels, la question essentielle est bien :

Comment réussir à préserver mais aussi à stabiliser encore la cohésion en Europe ?

Cette cohésion bâtie sur les leçons amères du passé et dont nous pouvons, devons même peut-être être fiers.

Cette cohésion qui a apporté la paix et le bien être à l’Europe au cours de ces dernières décennies, suscitant le respect et l’admiration du monde entier.

Il semble aujourd’hui que tous ces acquis sont devenus par trop évidents. « Nous serons mieux lotis sans l’Europe », proclamaient les brexiters au Royaume Uni et malheureusement, ils eurent du succès.

Dans de nombreux pays européens, de la Hongrie à la Suède, en France et hélas aussi en Allemagne, les tendances europhobes et populistes de droite ont le vent en poupe et mettent à l’épreuve, une fois de plus, notre continent.

Je ne parle pas des critiques justifiées au sujet du cap à suivre en Europe, c’est à dire des débats sur des questions de fond et sur les moyens d’améliorer les choses, notamment la promotion de l’idée européenne. Tout cela est important, pertinent et absolument nécessaire.

Mais c’est la valeur même de l’unification européenne qui est remise en question ces temps ci, soit le fondement de notre coexistence pacifique.

Ceux qui pensent que leur nation se portera mieux toute seule existent toujours et de nouveau, fâcheusement, et leur voix se fait de plus en plus forte.

Une idéologie dangereuse du « mon pays d’abord », un retour fatal vers les anciennes mentalités nationalistes est en train de se propager.

Même l’apparition commune d’Angela Merkel et Emmanuel Macron fait l’objet d’effrayantes tentatives de dénigrement dans un esprit de révisionnisme historique.
Si les Européens ne parviennent pas à préserver leur cohésion et à résoudre leurs problèmes ensemble, ils risquent de voir leurs réalisations s’effacer.

Mesdames, Messieurs,

Nous n’avons pas le droit de laisser cela se reproduire !

Le président Emmanuel Macron estime qu’une capacité d’action renforcée de l’Europe n’est pas opposée à la souveraineté nationale, bien au contraire : elle la complète, voire l’amplifie.

C’est exact car c’est précisément lorsque des partenaires jusque-là fiables se soustraient à leurs responsabilités et que les crises et les conflits se multiplient dans le monde que nous devons renforcer encore la cohésion de l’Europe.

Ce n’est qu’avec l’Europe et à travers elle que nous pouvons reconquérir la capacité d’action politique que l’État nation traditionnel ne possède plus dans un monde globalisé.

Ce n’est que lorsque l’Europe se montre unie sur son territoire et à l’extérieur et parle d’une seule voix qu’elle peut s’engager de manière crédible en faveur d’un ordre international fondé sur des règles et des valeurs.

Il faut espérer que l’Histoire nous a enseigné cela aussi car c’est un aspect indispensable pour un monde pacifique et sûr dans lequel les conflits ne se règlent plus avec des armes mais à la table de négociation.

Les grands défis mondiaux qui ne peuvent être résolus que par une Europe forte au sein d’une communauté mondiale forte ne manquent pas, qu’il s’agisse des questions d’environnement, du changement climatique ou encore de la migration et des injustices sociales.

L’heure d’une Europe unie est donc venue.

Cela ne veut pas dire que tous doivent toujours être du même avis en Europe.

« Europe United » nécessite plutôt d’aborder les différences de manière constructive et de chercher à faire déboucher la diversité sur quelque chose de commun.

L’Allemagne et la France sont investies d’une responsabilité particulière pour contribuer à la réussite, à la cohésion européenne, et pour entraîner dans cette voie toute l’Europe et ses habitants.

Nous devons arriver ensemble à faire ressentir davantage la valeur du processus d’intégration européenne, en Europe occidentale et orientale, au Nord et au Sud.

Or nous n’y parviendrons que si nous réussissons à couper l’herbe sous le pied du populisme. Il faut réduire les injustices sociales ; les citoyens doivent tirer profit du progrès et pouvoir exploiter ses possibilités au lieu d’en avoir peur, et nous devons veiller à ce que l’Histoire reste vivante.

Y compris et en particulier pour une jeune génération.

C’est la volonté de paix et de démocratie qui cimente l’Europe, la foi dans le progrès et dans les droits de l’homme indivisibles.

Ce sont les valeurs culturelles qui nous unissent, au delà des avantages économiques.

Ce n’est pas un hasard si le Traité de l’Élysée de 1963, qui consolidait et consacrait officiellement le rapprochement de l’Allemagne et de la France 18 ans seulement après la fin de la Seconde Guerre mondiale, prévoyait aussi et surtout une vaste coopération en matière culturelle et éducative en sus de la coopération dans les questions politiques et économiques.

Mais là aussi c’étaient des citoyens des deux pays qui se tendaient la main.

Le premier jumelage franco-allemand est mis en place dès 1950 entre Ludwigsburg et Montbéliard.

En 1951, à un moment où l’idée d’une Europe unie n’est pas encore au cœur du débat politique, 50 maires allemands et français créent à Genève le Conseil des Communes d’Europe, appelé depuis 1984 Conseil des Communes et Régions d’Europe.

Ce sont ces diverses initiatives et réseaux au sein de la société civile qui portent la compréhension et l’entente mutuelles, et donc l’amitié entre nos deux pays.

Aujourd’hui, la France, l’Allemagne et la Pologne entretiennent les liens les plus nombreux dans le mouvement des jumelages européens.

Cependant, les jeunes d’alors ont vieilli et nous avons besoin d’une nouvelle jeune génération qui cultive et continue de porter ces étroites relations. Peut être même en l’enrichissant de nouvelles impulsions et de ses propres idées.

L’heure est venue d’approfondir encore notre coopération en adoptant un nouveau traité franco allemand, dans lequel nous intégrerons les défis de notre temps, et d’assurer l’avenir de cette étroite et intense coopération.
La culture et l’éducation demeurent pour moi essentielles à l’entente.

Nous voulons développer les deux, vers l’intérieur et vers l’extérieur, par exemple en créant des centres culturels franco-allemands.

Je veux dire que nous devons nous écarter davantage d’une politique étrangère des États et parvenir à une politique étrangère des sociétés.

Dans notre politique culturelle internationale, nous misons en tout cas sur l’échange et la rencontre, sur la coopération et la coproduction. C’est le « troisième pilier » de la politique étrangère allemande et nous continuons de le développer.

C’est pourquoi le travail de l’Office franco allemand pour la Jeunesse, dont la fondation remonte au Traité de l’Élysée, est également si précieux. Il permet d’organiser d’année en année des rencontres entre les jeunes des deux pays.

Je me réjouis donc que plus de 500 jeunes venus de toute l’Europe ainsi que des pays voisins à l’est et au sud de l’Union, soit plus de 50 pays en tout, participent ces jours ci à Berlin à une rencontre internationale intitulée « Youth for Peace ». Placée sous le patronage du ministère fédéral des Affaires étrangères et de la Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale, cette rencontre est pour eux l’occasion de discuter de la « Grande Guerre » et aussi de réfléchir à nos possibilités de changer les choses.

Dimanche prochain, ils présenteront leurs idées communes sur la paix aux présidents Frank-Walter Steinmeier et Emmanuel Macron.

Une telle rencontre de jeunes incarne pour moi une culture mémorielle tournée vers l’avenir et fondée sur l’échange et le dialogue.

J’ai hâte d’entendre ces idées ! Nous en entendrons parler.
Vous me permettrez d’ajouter cette remarque toute personnelle : il y a un peu moins d’un an, j’ai fait la connaissance dans le cadre d’un programme d’échange entre nos parlements d’une jeune députée parisienne, Delphine.

Après un week end où je lui avais fait visiter ma circonscription dans la région de la Ruhr avec ses vieilles usines minières et sidérurgiques, j’ai reçu, quelques semaines plus tard, un paquet.

Ce dernier contenait une couverture rouge avec l’emblème de l’Assemblée nationale. Depuis, la couverture est dans ma voiture et elle me réchauffe la nuit pendant mes longs trajets à travers l’Allemagne.
J’ai promis à Delphine de lui rendre bientôt visite à Paris. Le jour est parfaitement choisi pour préparer enfin nos retrouvailles.

Apprendre les leçons du passé et travailler pour l’avenir, c’est une chose que nous pouvons tous apprendre ensemble et chacun pour soi.

Cela suppose savoir et être conscient que la paix, la liberté et la démocratie ne vont nullement de soi, qu’elles doivent sans cesse être reconquises et défendues.

Pour cela, il faut que chacun s’implique. Car progresser était et est toujours possible.
L’amitié franco-allemande en est une preuve remarquable.

Je vous remercie.

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