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Heiko Maas, ministre fédéral des Affaires étrangères : « Oser l’Europe – #EuropeUnited »

13.06.2018 - Discours

Comment peut s’imposer l’Europe dans un monde radicalisé par le nationalisme, le populisme et le chauvinisme ?

Allocution de Monsieur Heiko Maas, ministre fédéral des Affaires étrangères, membre du Bundestag allemand

« Oser l’Europe – #EuropeUnited  »

dans l’ancienne gare postale de Berlin (alter Postbahnhof am Ostbahnhof), Berlin, le 13 juin 2018

Mesdames, Messieurs,

et surtout : chers coorganisateurs de cet événement, l’initiative « Pulse of Europe  » et la Fondation Schwarzkopf,

Comment l’Europe peut-elle s’affirmer dans un monde radicalisé par le nationalisme, le populisme et le chauvinisme ?

Voilà la question que je me pose ces jours-ci quand je réfléchis au rôle de l’Allemagne en Europe.

Cette question m’accompagne également à chaque fois que je discute avec mes homologues européens, et bien sûr aussi lors de mes déplacements à Moscou, à Washington, en Afrique ou au Proche-Orient.

  • La politique égoïste « America first » de Donald Trump,
  • les attaques de la Russie contre le droit international et la souveraineté des États et
  • l’expansion du géant chinois.

L’ordre mondial tel que nous le connaissions, auquel nous étions habitués et que nous trouvions parfois très confortable a cessé d’exister.

Les anciens points d’appui s’effondrent dans de nouvelles crises et les alliances établies depuis des décennies sont remises en question à coups de «  tweets  ».

Pendant longtemps, les États-Unis étaient le leader des peuples libres. 70 années durant, ils ont œuvré pour la liberté, le bien-être et la sécurité chez nous en Europe.

J’ai déclaré il y a quelques jours que nous réagirons de manière adéquate face aux récentes décisions des États-Unis.

J’avoue que jamais je n’aurais imaginé qu’un ministre allemand des Affaires étrangères soit amené à dire une chose pareille, croyez-moi.

Mais force est de constater que sous le président Trump, l’océan Atlantique s’est élargi et que sa politique d’isolement a créé un énorme vide dans le monde, un vide particulièrement palpable depuis le sommet du G7.

À présent, qui viendra le combler ? Des puissances autoritaires ? Personne du tout ?

Ou bien le drapeau européen deviendra-t-il l’étendard du monde libre, comme le fut jadis la bannière étoilée des États-Unis ?

La réponse à ces questions doit aussi venir de l’Allemagne.

Certes, nous sommes très forts en analyse à ce sujet : pas un article de presse, pas une déclaration de la part d’un responsable politique ne paraît ces jours-ci qui n’attribue à l’Europe le rôle de sauver le libre-échange, la protection du climat et l’ordre mondial multilatéral. Et il est vrai que c’est tout à fait mon avis.

Il est plus urgent que jamais d’unir les forces de l’Europe dans le monde. Le numérique, le changement climatique, les migrations, les conséquences sociales de la mondialisation sont autant de phénomènes que nous ne pourrons gérer que si l’Europe agit avec la force unie de ses 500 millions d’habitants.

Mais alors qu’attendons-nous encore ? Nous ne pouvons plus nous contenter de ce simple constat ! Si l’Europe unie ne prend pas les rênes, c’est bientôt elle qui sera menée.

Dans vingt ans, nous serons probablement neuf millions d’êtres humains sur la planète, dont seulement cinq pour cent environ en Union européenne. Cela peut paraître peu, mais cinq pour cent, c’est toujours plus que toutes ces infimes fractions que représenteront alors les pays européens individuels. Ce n’est que si ces cinq pour cent sont unis que nous aurons au moins une chance de contribuer quoi que ce soit à la construction de ce monde en pleine mutation.

C’est pourquoi aujourd’hui notre réponse commune au slogan « America first  » doit être : « Europe united » !

Or il ne suffira pas de dresser une énième liste de grandes phrases pour susciter l’engouement en Europe ou pour l’Europe.

Car c’est en fait tout autre chose qui compte : notre attitude face à l’Europe. Et je suis fermement convaincu qu’il nous aussi faut plus de courage en Europe.

  • Le courage de saisir enfin résolument la main que le président français nous a tendue en septembre dernier déjà, non pas sur le mode du questionnaire à choix multiples, mais en formulant nos propres alternatives là où nos opinions divergent.
  • Le courage de présenter nos propres idées pour l’avenir de l’Europe, et ce au-delà des réserves purement technocratiques ou des vaines professions de foi en faveur de l’UE.
  • Et le courage de nous débarrasser également de quelques-unes de nos propres orthodoxies au bénéfice du bien commun, car c’est la seule possibilité de préserver réellement notre capacité d’action.

Nationalisme et repli sur soi se nourrissent aussi de notre découragement. Les populistes exploitent la peur et le manque d’orientation des individus pour propager leurs faux-semblants de solutions.

Tout cela ne me laisse pas indifférent, bien au contraire, et ce depuis longtemps déjà. Ce nouveau nationalisme me fait mal au cœur, et mes origines sarroises y sont certainement pour quelque chose. Quiconque a grandi dans cette région frontalière a forcément un lien particulier avec l’Europe.

Lorsque j’ai commencé mes études à Sarrebruck, le président de l’université a invité chacun de nous dans sa conférence inaugurale à traverser la frontière française pour passer une journée en solitaire et se recueillir sur les champs de bataille de Verdun, non loin de là.

Une vraie expérience pour tous ceux qui ne connaissent la guerre qu’à travers les manuels scolaires.

Et je l’ai vraiment fait. Un beau matin, j’ai pris ma moto et je suis allé à Verdun. J’ai vu ces immenses champs funéraires, le paysage toujours déformé par les trous d’obus et l’ossuaire de Douaumont où gisent les restes de 130 000 soldats allemands et français, des soldats à tel point déchiquetés que personne ne pouvait plus les identifier.

Quand on a vu Verdun, on saisit tout l’exploit pacificateur qu’est l’Union européenne. On saisit combien il a fallu de courage pour parler de réconciliation quelques années seulement après les dévastations de deux guerres mondiales.

Cependant, il ne suffira pas pour ranimer l’enthousiasme pro-européen d’invoquer encore et toujours notre histoire, le courage et la clairvoyance des fondateurs de l’Europe.

Nous devons rendre palpable, ici et maintenant, la nécessité d’oser plus d’Europe, et non moins, maintenant plus que jamais !

Si l’on veut dresser un état des lieux honnête, force est de constater que le nouveau nationalisme a aussi de nouvelles causes pour lesquelles de nombreux gouvernements et leur politique ont une part de responsabilité, à force d’accuser Bruxelles de tous les maux tout en faisant passer les progrès réalisés au niveau européen pour leur propres exploits.

Bien trop longtemps, nous avons par ailleurs considéré la mondialisation et certains de ses excès comme une espèce de phénomène naturel contre lequel la politique ne pouvait ou, dans une logique néolibérale, ne voulait rien faire.

Crise bancaire, flux migratoires, délocalisation du travail – toutes ces expériences ont aussi favorisé l’ascension des nationalistes et des populistes en Europe et au-delà.

Une tâche principale de la politique européenne doit donc consister à faire comprendre que la mondialisation et l’érosion des structures ordonnées ne sont aucunement des phénomènes naturels contre lesquels nous sommes impuissants. Cela demande le courage de réorganiser l’Europe pour la préparer au xxie siècle !

Il ne nous reste plus beaucoup de temps, mais le jeu en vaut bien la chandelle !

Mesdames, Messieurs,

La situation interne et les missions internationales de l’Europe sont étroitement imbriquées. Seules la solidarité et la cohérence à l’intérieur de nos frontières nous donnent la force et la souveraineté à l’extérieur.

C’est bien la raison pour laquelle il nous faut une grande Europe.

  • Une Europe qui ne fasse pas la distinction entre petits et grands pays, entre le centre et la périphérie.
  • Une Europe qui ne s’arrête ni à l’ancien rideau de fer ni au massif des Alpes.

Jusqu’en 1989, le mur de Berlin s’élevait à seulement quelques mètres d’ici. C’était la frontière mortelle entre Est et Ouest.

Si les Allemands ont tiré une leçon de l’histoire de cette séparation, c’est celle que les murs et les frontières n’apportent aucune sécurité, mais qu’ils entravent la liberté, le bien-être et le bonheur. C’est une expérience que bien trop d’êtres humains ont déjà dû subir.

Nous devons donc empêcher aujourd’hui que l’Europe ne se fragmente en différents groupes et construise de nouvelles frontières. Nous devons refermer les déchirures qui ont fissuré notre Union ces dernières années, entre Nord et Sud, entre Ouest et Est.

Voilà donc ce que l’Allemagne doit proposer à l’Europe : nous voulons surmonter les fossés ! Nous voulons nous porter garants de l’unité et la force intérieures de l’Europe, pour que l’Europe puisse mieux combler les espérances de ses citoyens et les attentes du monde.

Pour y arriver, il faut que l’Allemagne se bouge elle aussi. Il n’y a parfois qu’un pas entre la fidélité à ses principes et l’entêtement, surtout dans notre pays. Nous devons aussi apprendre à voir l’Europe davantage à travers les yeux des autres Européens afin de comprendre l’idée européenne :

  • D’un côté, il y a les pays d’Europe centrale et orientale qui ont connu l’effondrement du communisme et le bouleversement complet de leurs conditions de vie.

    L’Europe était avant tout pour eux une promesse de liberté et de prospérité.

    Elle leur a apporté et l’une et l’autre, même si les inégalités économiques persistent toujours. Mais la gestion européenne de la crise des réfugiés a réveillé chez nombre de nos voisins dans ces pays le sentiment qu’on les dépossédait de leur autonomie, et je comprends que ces populations réagissent de manière sensible dès qu’elles voient mises en jeu leur souveraineté et leur identité nouvellement acquises, même si ce n’est peut-être qu’une impression.

    Bien entendu, l’Europe ne doit pas fermer les yeux face aux insuffisances de l’état de droit démocratique, car il constitue le fondement de notre Union.

    Mais les leçons pédantesques données par Berlin sont certainement moins utiles que les propositions réfléchies visant à faire converger les intérêts.

  • De l’autre côté, il y a les pays du Sud qui continuent de souffrir des conséquences de la crise financière. Malgré les rétablissements économiques, il y a toujours des régions où 25 à 30, voire 40 pour cent des jeunes ne trouvent pas d’emploi. Nous ne pouvons pas ignorer cela en Allemagne !

    Et il y a lieu de s’alarmer si en Italie précisément, ce pilier de l’Europe qui était jusqu’ici l’un de nos partenaires les plus étroits, près d’une personne sur deux pense que son pays ne profite pas de son adhésion à l’UE.

    L’Europe doit aussi apporter une réponse convaincante, et ce à des niveaux très différents, aux attentes légitimes de nos voisins méridionaux qui demandent notre solidarité.

Mesdames, Messieurs,

Quand nous parlons d’une grande Europe, la question qui se pose tout de suite est celle de la capacité d’action de l’Union européenne. Une grande Europe ne saurait bien évidemment freiner les ambitions de ceux qui souhaitent coopérer encore plus étroitement.

Sans vouloir distinguer les bons des mauvais Européens, nous devons tout de même nous rendre à l’évidence que l’objectif d’une union sans cesse plus étroite entre les pays européens n’est pas partagé de la même façon par tous ses membres.

C’est pourquoi il nous faut des mécanismes, je suis d’accord avec Emmanuel Macron à ce sujet, qui permettent à certains groupes au sein de l’UE d’avancer de manière flexible sans être bloqués par les autres.

En même temps, la porte doit néanmoins toujours rester grande ouverte pour ceux qui souhaiteraient éventuellement s’associer ultérieurement.

Cela peut réussir, comme le montre par exemple notre coopération renforcée dans le domaine de la politique de sécurité et de défense à laquelle 25 États membres ont participé en fin de compte. Ce succès a été réalisé grâce à des objectifs ambitieux, un maximum de transparence et une ouverture permanente envers tous les pays membres. Voilà donc les principes à adopter à l’avenir pour rendre l’Union européenne encore plus efficace.

Mesdames, Messieurs,

L’attachement des Européens à l’Europe, et c’est toute la question, ne dépend pas tellement de la manière dont les décisions sont prises à Bruxelles, mais plutôt de leur nature.

C’est lorsque les États-nations font face à des problèmes d’envergure mondiale que se présente à l’Europe l’opportunité particulière d’agir conjointement. En effet, aucun pays européen à lui seul, y compris l’Allemagne, n’a suffisamment de poids pour marquer d’une empreinte décisive la mondialisation, le système commercial ou la politique internationale.

L’ancien premier ministre belge Paul-Henri Spaak a prononcé une phrase qui s’est avérée très juste : « Il existe deux sortes de pays européens. Ceux qui sont petits et qui en ont conscience. Ceux qui sont petits et qui n’en ont pas encore conscience. »

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? C’est aussi en déléguant une partie de sa souveraineté à l’Union européenne que l’on peut regagner le pouvoir constructif perdu depuis longtemps à l’échelle nationale. En effet, le nationalisme ne signifie pas « reprendre le contrôle », comme l’ont prôné les défenseurs du Brexit, mais bel et bien « abandonner le contrôle ».

Préserver la souveraineté en coopérant plus étroitement, tel devrait être l’objectif et l’idée motrice au sein de l’UE. Et c’est la raison pour laquelle il nous faut absolument répondre à la question suivante : quelles sont les principales tâches que nous devons accomplir ensemble ?

Je vois surtout trois grands domaines :

  • la politique économique et financière, y compris sa dimension sociale, qui doit veiller à ce que les conditions de vie convergent davantage. C’est ce que la population attend et c’est aussi la promesse de bien-être que représente l’idée européenne ;
  • la politique migratoire qui ne doit plus être une source de discorde en Europe ;
  • et enfin la politique extérieure, où sont en jeu la capacité de l’Europe à agir et à s’imposer dans le monde.

Il est évident pour moi que nous devons laisser derrière nous nos divisions en matière de politique économique et financière européenne. Pour y parvenir, il nous faut aussi surmonter enfin les nombreuses réserves qui persistent à ce jour.

Effectivement, l’Allemagne figure parmi les premiers bénéficiaires de l’euro et du marché intérieur dans l’Union européenne.

La fondation Bertelsmann Stiftung a calculé que l’économie allemande enregistre une croissance actuelle de 37 milliards d’euros grâce au marché intérieur, ce qui équivaut à une hausse des revenus de 450 euros par an pour chacun d’entre nous. Neuf de nos douze principaux partenaires commerciaux sont des membres de l’Union européenne, six d’entre eux ont la même monnaie que nous, l’euro.

La stabilisation durable de l’euro est donc forcément dans notre propre intérêt.

Les Allemands adorent les assurances. Au total, nous avons conclu plus de 430 millions de polices d’assurance pour nous mettre à l’abri contre toutes sortes de risques. Et pourtant, lorsqu’il s’agissait d’assurer notre propre devise communautaire, nous avons longtemps rechigné.

C’est pourquoi il est juste que la chancelière fédérale ait abordé pour la première fois les moyens d’améliorer le travail de l’Europe dans ce domaine.

Mais nous devons aller plus loin encore ! Si nous voulons une Europe forte et prospère dont les membres ne soient pas divisés en deux classes inégales, le débat ne peut pas se terminer ici. La proposition du vice-chancelier Olaf Schulz visant à utiliser la taxe sur les transactions financières afin de doter, pour la première fois, l’Union européenne de ses propres ressources fiscales serait un réel changement de paradigmes. Et compte tenu précisément de l’état des relations transatlantiques, je suis assez favorable à l’idée d’un impôt sur le numérique.

En outre, il nous faut :

  • plus d’efforts dans la lutte contre le chômage des jeunes et moins de clivages sociaux au sein de la zone euro, par exemple à travers un salaire minimum européen ou une réassurance européenne pour les organismes nationaux d’assurance chômage,
  • davantage de mobilisation de la part de l’UE contre le dumping social et fiscal, par exemple à travers l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés – c’est le seul remède,
  • plus de soutien pour les réformes structurelles et plus d’investissements, notamment en faveur de la transition numérique, l’un de nos grands défis de demain.

Tout cela garantira la stabilité économique de l’Europe, la stabilité de notre monnaie et la paix sociale qu’on nous envie tant partout dans le monde.

Le sens de l’épargne est certes une vertu, mais l’avarice quant à elle est un danger pour ce que nous souhaitons préserver et construire, c’est-à-dire l’unité et la force de l’Europe ! Chaque centime investi sera utile parce que nous en profiterons tous.

Mesdames, Messieurs,

Quelle est donc l’alternative ? Voulons-nous vraiment nous résigner au fait que les technologies d’avenir comme la voiture autonome ou l’intelligence artificielle seront désormais élaborées exclusivement dans la Silicon Valley ou à Shenzhen, en Chine ? Si c’est le cas, je suis pessimiste quant à l’avenir de l’industrie allemande. Pourquoi donc ne pas créer par exemple un capital risque européen et simplifier les démarches administratives pour promouvoir la mise en réseau des start-up à l’échelle non seulement nationale, mais surtout européenne ?

L’Allemagne doit être prête à apporter sa contribution à tout cela, dans l’intérêt d’une Europe unie, mais aussi dans son propre intérêt !

Mesdames, Messieurs,

Le deuxième domaine politique dans lequel l’Europe doit agir est celui des migrations.

Aucun autre sujet n’a autant éprouvé la cohésion de l’Union européenne au cours de ces dernières années, aucun autre sujet n’a un tel potentiel de discorde. Aussi nous faut-il tout mettre en œuvre pour que la question des migrations cesse d’envenimer notre Union.

J’estime qu’il y a deux choses à faire pour y arriver :

  • Premièrement, les Allemands notamment doivent abandonner leur attitude de supériorité morale présumée lors des débats sur la migration, surtout envers nos partenaires d’Europe centrale et orientale. Les leçons réciproques et l’arrogance moralisatrice ne font qu’aggraver les divisions !
  • Deuxièmement, tous les États membres doivent arrêter d’exploiter ce sujet pour faire surtout de la propagande anti-européenne dans leur pays.

    Il est intolérable que la question des migrations soit pervertie pour faire oublier ses propres défaillances politiques, notamment sur le plan intérieur !

Nous devons nous hâter d’avancer dans les domaines déjà consensuels. Nous devons lutter plus activement contre les causes profondes des migrations et améliorer la protection des frontières extérieures. Nous avons beaucoup trop longtemps laissé l’Italie et la Grèce se débrouiller seules face à ces défis.

Je considère également qu’il est très important que les frontières intérieures de l’Europe restent ouvertes.

Schengen est synonyme de liberté pour les citoyens européens. Ils sont chaque jour 1,7 million d’Européens à aller travailler dans un autre pays de l’UE. Ils sont 16 millions d’Européens à vivre dans un autre État membre, à y travailler et à y percevoir une retraite ou à y étudier. Et il est difficile d’imaginer que les Européens franchissent 1,25 milliard de fois par an une frontière intérieure de l’espace Schengen. Sans douane, sans contrôle des passeports, sans barrière : il ne faut surtout pas que cela change !

Certes, nous devons mieux protéger nos frontières extérieures mais nous ne devons jamais renoncer à la liberté acquise à l’intérieur de l’Europe. Si nous le faisions, notre Europe serait très différente de celle dont beaucoup rêvent.

Quelques États, dont l’Allemagne, ont réintroduit des « contrôles temporaires aux frontières ». Je le dis très clairement : le « temporaire » ne doit pas devenir du « permanent ». Nous ne pouvons pas inverser le cours de l’histoire, nous ne devons pas endommager l’Union européenne !

Mesdames, Messieurs,

Le troisième domaine politique dans lequel l’UE doit se montrer plus unie et plus forte est celui de la politique extérieure.

« Nous, Allemands, nous avons conscience de la nécessité urgente d’une association de plus en plus étroite entre les peuples d’Europe : d’abord parce que nos peuples doivent assumer plus résolument que dans le passé la part de responsabilité qui leur revient dans le maintien de la paix du monde ; ensuite parce qu’il est absolument indispensable qu’ils unissent leurs forces qui, isolées, sont limitées (...) ».

C’est une citation. Elle ne date pas de 2018 mais est extraite d’un discours que le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Willy Brandt, a prononcé en 1967. Il semble que, même après cinquante ans, notre analyse est toujours la même, bien que notre monde soit devenu beaucoup plus complexe qu’il ne l’était à l’époque du rideau de fer.

L’attitude du gouvernement de Donald Trump place l’Europe devant de tous nouveaux défis :

  • la dénonciation des accords de Paris sur le climat,
  • la sortie de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran et la menace ouverte d’appliquer des sanctions contre les partenaires européens,
  • le nouveau protectionnisme.

Toutes ces décisions viennent ébranler nos certitudes quant à la lutte aux côtés des États-Unis pour le multilatéralisme et un monde fondé sur des règles. Cet ébranlement, ne nous faisons pas d’illusions, est malheureusement déjà si profond qu’il dépassera certainement la présidence de Donald Trump.

Naturellement, les États-Unis restent nos partenaires les plus étroits en matière de politique étrangère et de sécurité en dehors de l’UE. Le moment est cependant venu de réajuster le partenariat transatlantique lui aussi, non pas pour l’abandonner mais pour le préserver dans un monde en mutation.

Nous avons besoin d’un rééquilibrage de notre partenariat avec les États-Unis, et ce,

  • en nous concentrant sur la coopération dans les domaines où les valeurs et les intérêts sont équilibrés de part et d’autre,
  • en faisant valoir notre poids là où notre partenaire se retire, et
  • en constituant résolument un contrepoids européen là où les États-Unis franchissent des lignes rouges.

De fait, là où le gouvernement américain remet offensivement en question nos valeurs et intérêts, nous devons nous montrer plus fermes, voilà l’expérience que nous faisons ces temps-ci.

L’accord sur le nucléaire avec l’Iran que les Européens sont unanimes à vouloir défendre constituera la première mise à l’épreuve de cette approche. Si nous défendons cet accord, ce n’est pas pour soutenir Téhéran mais pour prévenir une course aux armements nucléaires au Moyen-Orient qui aurait des conséquences catastrophiques, y compris pour notre propre sécurité ici.

Pour atteindre nos objectifs, il est impératif de nous concerter étroitement avec la France. Avec le président Emmanuel Macron, la France a la force de procéder à d’importantes réformes et a fait des propositions de grande portée pour l’avenir de l’Europe.

Il est évident à mes yeux que la réponse ne peut être que résolument positive. Nous ne devons pas être d’accord sur tout dès le départ mais, compte tenu notamment de l’incertitude qui plane sur la relation transatlantique, notre coopération ne doit pas faire l’ombre d’un doute, maintenant plus que jamais.

Non pas comme des pédants prescrivant le cap aux autres États membres, mais comme sources d’encouragement pour faire avancer l’Europe avec détermination.

Si Berlin et Paris ont le courage de coopérer encore davantage sur les questions économiques, financières, énergétiques et sécuritaires, d’autres pays les suivront, j’en suis fermement convaincu. Il en résultera une nouvelle dynamique dont l’Europe tout entière bénéficiera pour progresser dans le sens d’une plus grande autonomie stratégique.

Mesdames, Messieurs,

Nous sommes d’accord avec les États-Unis sur les valeurs fondamentales de la démocratie libérale. Toutefois, l’influence des régimes autoritaires s’accroît dans certaines parties du monde.

Des conflits sévissent dans les régions ou pays voisins comme en Syrie, en Ukraine ou au Proche-Orient et nous ne parvenons pas à les régler parce que nous n’avons pas suffisamment fait valoir le poids de l’Europe, et que nous ne le faisons toujours pas.

L’Europe doit enfin réagir, non pas avec quelques ajustements dans l’appareil bruxellois mais en changeant de mentalité. Nous avons besoin d’une politique extérieure plus courageuse, plus ambitieuse et plus volontaire. On pourrait dire aussi que nous devons déployer enfin notre « capacité d’action en matière de politique extérieure ».

Pour ce faire, nous avons besoin de deux choses :

  • Premièrement : la détermination de formuler une politique extérieure commune, et
  • Deuxièmement : les capacités de poursuivre une politique extérieure européenne.

Nous en sommes encore très loin.

Dès 2016, l’actuel président fédéral Frank-Walter Steinmeier et son homologue français de l’époque, Jean-Marc Ayrault, ont proposé de créer un conseil de sécurité européen.

Il pourrait être chargé d’établir le futur cadre d’une politique étrangère et de sécurité européenne cohérente et stratégique. Ce conseil constituerait un préalable à la création de sièges européens au Conseil de sécurité des Nations Unies. Dans cette perspective, le Conseil européen pourrait par exemple se réunir une fois par an avec tous les 27 États membres de l’UE en tant que « conseil de sécurité européen ».

Car le monde n’attend pas que l’Europe ait fini de débattre de ses structures.

Pour parvenir dès cette année à une plus grande capacité d’action en matière de politique extérieure, je vois surtout la possibilité d’en finir avec la malédiction de l’unanimité. Car cette règle conduit trop souvent à une politique du plus petit dénominateur commun. Et elle invite littéralement les puissances étrangères à nous diviser et à exploiter le potentiel de blocage de certains États membres.

Je proposerais donc que le Conseil européen définisse dès que possible les domaines dans lesquels les décisions peuvent être prises immédiatement à la majorité.

Celui qui prétend que nous renonçons ainsi à notre souveraineté se trompe, car qui peut encore croire sérieusement qu’un État européen serait capable de faire entendre seul ses intérêts nationaux dans un conflit de politique étrangère de portée internationale ? Peu importe qu’il s’agisse de l’Iran, de l’Ukraine ou de la Syrie, la réponse à ces conflits est toujours la même : l’Europe doit agir en joignant ses efforts, sinon il n’y aura pas de solution !

La politique extérieure européenne doit être principalement axée sur la stabilité dans les pays voisins.

Cela vaut tout particulièrement pour les États des Balkans occidentaux.

Si l’UE ne parvient pas à avancer dans le processus d’adhésion de ces pays, dont nous discutons actuellement, cela aura des conséquences fatales. D’autres puissances sont depuis longtemps prêtes à s’engouffrer dans la brèche : la Russie, la Chine, les pays du Proche et du Moyen-Orient qui ont une tout autre conception de l’ordre et de la stabilité que les Européens.

Il est clair que les candidats à une adhésion doivent répondre à des critères précis, personne ne l’a jamais nié.

La démocratie libérale et un État de droit efficace figurent parmi les premières conditions à remplir. Quelques États ont fait beaucoup de progrès, comme l’ex-République yougoslave de Macédoine qui s’appellera désormais Macédoine du Nord. Mais il y a aussi l’Albanie qui a mené une réforme ambitieuse de son système judiciaire. Aussi, je plaide expressément pour une ouverture conditionnée de négociations d’adhésion avec ces deux pays. Si nous les privons de la perspective d’adhésion, toutes les réformes amorcées resteront sur le carreau.

Mesdames, Messieurs,

Nous avons besoin d’une nouvelle «  Ostpolitik ». Une Ostpolitik européenne qui, face à l’absence dangereuse de communication entre Washington et Moscou, explore de nouvelles possibilités de coopérer avec la Russie dans l’intérêt d’abord de tous les Européens, et pas seulement avec ceux choisis par les Russes.

Elle doit aussi formuler des offres pour les pays du partenariat oriental, comme la Géorgie ou l’Ukraine, qui partagent souvent notre sensibilité et notre esprit européens.

Elle doit tenir compte des intérêts de tous les Européens, à la fois de ceux des États baltes et de la Pologne ainsi que de ceux des États à l’ouest.

Il faut aussi qu’elle trouve un équilibre entre intérêts de sécurité, coopération économique et notamment culturelle ou scientifique. Cela permettra d’insuffler une nouvelle dynamique constructive dans les relations intraeuropéennes avec les États membres orientaux de l’UE.

En outre, nous avons besoin d’une politique africaine de l’UE qui ne définit pas seulement l’Afrique comme destinataire de l’aide au développement ou exportatrice de crises et de migrants. Lors de mon premier voyage en Afrique, j’ai compris que l’Afrique ne veut pas seulement une aide au développement mais un véritable partenariat.

Nous avons également besoin d’une stratégie commune pour répondre aux ambitions hégémoniques de la Chine et contrer solidairement les tentatives de division au sein de l’Union européenne.

C’est la raison pour laquelle, lorsque nous serons membre du Conseil de sécurité des Nations Unies en 2019-2020, nous œuvrerons délibérément comme représentants de l’Europe. « Germany  » figurera certes sur le carton avec le nom du pays, mais lorsque nous prendrons la parole devant le Conseil de sécurité, ce sera également dans la volonté de nous exprimer au nom de tous les États membres de l’UE à partir du 1er janvier 2019. Et quand nous voterons, nous nous laisserons davantage guider par la politique européenne que nous voulons développer de concert avec nos partenaires de l’UE. Telle est notre proposition !

Mesdames, Messieurs,

En plus d’avoir le courage de s’unir, l’UE a besoin d’instruments adaptés pour pouvoir mettre en œuvre cette politique. La nouvelle réalité transatlantique implique également que nous prenions plus de responsabilités pour assurer notre propre sécurité, parce que nous ne pouvons nous attendre à ce quelqu’un s’en charge de l’autre côté de l’Atlantique. Nous avons besoin d’une véritable union européenne de sécurité et de défense.

En ce qui concerne les structures de défense, nous avons déjà très bien avancé grâce à la coopération structurée permanente.

D’autres mesures sont cependant indispensables dans ce domaine également. C’est pourquoi je soutiens la proposition de la France de lancer une initiative d’intervention européenne, le terme d’« équipe européenne de réaction aux crises » serait probablement plus adapté, en très étroite concertation avec notre coopération structurée permanente. Nous devrions proposer à la Grande-Bretagne d’y participer en dépit du Brexit.

Nous ne pouvons pas non plus fermer les yeux sur le fait que l’Allemagne va être obligée de pallier les capacités insuffisantes de la Bundeswehr si nous choisissons de suivre cette voie.

Cela coûte de l’argent, mais les investissements dans l’équipement sont loin d’être des investissements dans l’armement.

D’ailleurs, si nous investissons, ce n’est pas parce que Donald Trump l’exige mais pour apporter notre contribution aux structures de sécurité européennes qui sont aussi un volet essentiel, et en aucun cas un substitut, d’une politique extérieure de l’UE axée sur la paix et la sécurité.

Comme prévu dans l’accord de coalition, cela doit aller de pair avec l’augmentation des dépenses affectées à la diplomatie sous toutes ses formes, allant de la prévention des crises à la compréhension interculturelle. Une défense forte et une diplomatie forte sont les deux faces d’une même médaille, ce que nous avons compris au plus tard avec la politique de détente menée par Willy Brandt.

Il est évident qu’une politique étrangère européenne ne peut être qu’une politique de paix, aucun conflit ne pouvant être durablement réglé par des moyens militaires.

La gestion civile des crises doit par conséquent toujours être la pièce maîtresse de la politique étrangère et de sécurité européenne. 2017 a été une année de succès pour la coopération structurée permanente. Faisons en sorte que 2018 soit également un succès au niveau civil avec la « la Politique de sécurité et de défense commune civile » !

Au Mali, nous soutenons la construction de structures étatiques, en Somalie, nous apportons une aide à la formation de forces de sécurité et en Iraq, nous encourageons l’instauration de l’ordre public.

Encore faut-il trouver les experts nécessaires, les former et les soutenir dans l’accomplissement de leurs tâches. Nous voulons que l’UE soit en mesure de s’en charger elle-même à l’avenir. Nous proposons donc que tous les États membres de l’UE s’engagent à envoyer de tels experts dans un nouveau « corps européen de stabilisation » civil.

Mesdames, Messieurs,

Le ministère fédéral des Affaires étrangères continuera de travailler sur ces questions centrales dans les semaines et les mois à venir et les fera avancer sur le plan politique également.

J’ai pour but de préparer des plans de travail détaillés pour un partenariat équilibré avec les États-Unis, une nouvelle Ostpolitik européenne et la construction d’une Europe souveraine et forte.

Mesdames, Messieurs,

En tant que Sarrois, je viens d’une région sans cesse tiraillée entre la France ou à l’Allemagne au siècle dernier. Ma grand-mère, qui a habité toute sa vie dans le même village, dans la même rue, dans la même maison, a eu au cours de sa vie cinq passeports différents. Ce n’est pourtant pas elle qui a bougé, mais le monde tout autour.

De tels bouleversements ont été épargnés à ma génération. J’ai grandi dans un environnement de paix, dans l’esprit de la réconciliation et en respirant l’air de la liberté. J’appartiens à la « génération Interrail ». À 17 ans, j’ai pris le train en été pour parcourir l’Europe dans tous les sens.

La démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme, beaucoup de choses qui allaient de soi pour ma génération, font aujourd’hui l’objet d’une nouvelle remise en question. Il nous faut réapprendre à ne pas rester sans réagir face à cette évolution.

C’est pourquoi « Pulse of Europe » est un mouvement aussi formidable. Il a réussi à faire descendre dans la rue des dizaines de milliers de personnes. Non pas des citoyens frustrés en colère mais finalement des citoyens confiants porteurs d’un message positif. C’est aussi ça, l’Allemagne !

Cet enthousiasme pour l’Europe n’est pas venu tout seul. Aussi devrions-nous créer plus d’événements et de formats de rencontre s’adressant spécialement aux jeunes. Par exemple, une journée européenne de la jeunesse.

Une journée durant laquelle les jeunes de tous les États membres se réunissent, font la fête, discutent et découvrent à la fois les traits communs et la diversité des cultures européennes.

Ou encore, pourquoi ne pas utiliser davantage le numérique pour un débat à l’échelle européenne ? Par exemple à travers un « cyberforum européen » grâce auquel chaque Européen pourrait communiquer dans sa langue tout en étant traduit parallèlement par un assistant de traduction numérique.

L’Estonie a déjà mis au point un tel instrument en ligne et nos amis estoniens partageront certainement volontiers leurs expériences avec nous.

Enfin, la tenue de débats politiques plus nombreux me tient tout particulièrement à cœur. L’Europe, c’est plus que l’harmonie et l’amitié entre les peuples, l’Europe c’est aussi la politique, ce qui veut dire échanger ses opinions, démocratiquement et au-delà des frontières nationales.

Pour surmonter la polarisation par le nouveau nationalisme, nous avons besoin d’une nouvelle politisation.

  • Combien d’argent sommes-nous prêts à dépenser pour lutter contre le chômage des jeunes ?
  • Jusqu’où peut-on réduire les libertés dans la lutte contre le terrorisme ?
  • Dans quels domaines voulons-nous plus économiser et plus investir ?

Ce sont toutes des questions hautement politiques. Il ne s’agit pas de discuter de positions allemandes, françaises ou d’autres positions nationales. Il s’agit de la concurrence des idées politiques. Quoi de plus passionnant ?

Les élections au Parlement européen auront lieu dans un an.

Nous ne devons pas laisser ces élections à des nationalistes et populistes incapables de compromis.

Utilisons les crises en Europe et les attentes dans l’Europe pour développer une politisation constructive !

Sans débats, les électeurs sont désorientés.

Les dernières années nous ont bien trop souvent enseigné que si les électeurs ont l’impression que leur bulletin de vote n’a plus le pouvoir de mener à un changement d’orientation démocratique, les populistes ont beau jeu de remettre en question le système.

Je voudrais rappeler une ancienne vertu de la démocratie qui consiste à discuter en se respectant. L’Europe a besoin de la concurrence des meilleures idées.

Mesdames, Messieurs,

Peut-on être fier d’une nationalité en particulier ? Je pense que chacun doit trouver sa propre réponse à cette question. L’histoire de la Sarre montre en tout cas que la nationalité du passeport détenu à la naissance peut être très aléatoire.

Je suis fier de la liberté et de la démocratie, de l’ouverture et de la tolérance, de la coexistence pacifique et de la cohésion sociale qui caractérisent notre société. Tout cela ne va pas de soi mais a été obtenu de haute lutte et défendu par les citoyennes et citoyens de ce pays. Voilà ce dont je suis fier.

Ce sont également des acquis européens qui peuvent former le noyau d’un nouveau « patriotisme européen » auquel les populistes et les nationalistes ne peuvent opposer que le déni historique.

Ce patriotisme européen nous donne le courage dont nous avons besoin pour l’Europe du futur :

  • une Europe unie intérieurement et forte extérieurement ;
  • une Europe qui redistribue équitablement la prospérité collective ;
  • une Europe qui s’engage pour la paix et des compromis justes entre les pays ;
  • une Europe qui protège la liberté, à l’intérieur et à l’extérieur contre les despotes étrangers.

    Dans l’état actuel du monde, nous avons besoin plus que jamais d’une Europe unie.

    C’est une chance à saisir et l’Europe est notre espoir.

    Merci beaucoup !

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