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Discours du ministre fédéral des Affaires étrangères Sigmar Gabriel à l’occasion de la 72e Assemblée générale des Nations Unies

26.09.2017 - Discours

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Nous semblons aborder une phase de tempêtes et de séismes politiques. De plus, de jour en jour et de discours en discours, le ton des confrontations internationales devient de plus en plus dur, impitoyable et belliqueux.

En tant que responsables politiques, il est urgent que nous nous posions la question suivante :

Comment est-il possible d’engager un renversement de tendance ? Un renversement de tendance qui irait vers une plus grande paix et une plus grande stabilité, une réduction de la faim et de la pauvreté, de meilleures perspectives d’avenir pour tous en ce monde.

Comment parvenir à ce que l’objectif de la mondialisation signifie enfin la justice pour tous et pas simplement la richesse pour un petit nombre d’élus ?

Un rapport remis au Secrétaire général des Nations Unies nous fournit une réponse concernant ce renversement de tendance. Il y est dit ceci :

Nous ne devons pas nous limiter aux « questions traditionnelles de paix et de guerre ».

Au contraire, nous devons nous employer à « remédier à la faim dans le monde, à la misère massive et aux angoissantes inégalités entre les conditions de vie des riches et celles des pauvres. » - Fin de la citation.

Cette analyse est, à mes yeux, parfaitement juste.

Ce qui donne pourtant à cette citation un goût amer, c’est le fait qu’elle ne provient pas d’un rapport actuel remis au Secrétaire général des Nations Unies. Non, cette juste analyse de la situation mondiale provient d’un rapport mandaté par les Nations Unies il y a presque quarante ans jour pour jour.

Le rapport de la Commission indépendante sur les problèmes de développement international, la « Commission Nord‑Sud », qui a pris ses fonctions en septembre 1977, il y a quarante ans donc. C’est l’ancien chancelier allemand Willy Brandt qui présidait cette commission.

En fait, l’humanité fait toujours face aujourd’hui aux mêmes difficultés structurelles, mais il semble être devenu presque encore plus difficile de rendre le monde meilleur.

En regardant autour de soi, on a l’impression de voir s’étendre de plus en plus une vision du monde qui met toujours et uniquement à l’avant-plan ses propres intérêts nationaux et ne vise plus un équilibre des intérêts entre les nations et les pays de la planète. Pourtant, l’égoïsme national est impropre comme principe d’organisation du monde !

Car cette vision du monde considère le monde comme une arène, une sorte de parcours du combattant dans lequel chacun se bat contre tous, chacun doit défendre ses intérêts contre les autres soit seul soit en s’alliant pour la circonstance.

Dans cette vision du monde prévaut le droit international du plus fort et non la force du droit international.

Mesdames, Messieurs,

Je suis certain que nous devons nous opposer résolument à cette vision du monde. Nous avons besoin d’une plus grande coopération internationale et d’un moins grand égoïsme national, et non l’inverse.

Il y a quarante ans, la Commission Nord‑Sud avait déjà compris ceci :

La confrontation est inapte à résoudre les problèmes mondiaux, seule une clarification, souvent difficile, des intérêts communs le peut.

Aucun pays, aucune nation ne gagne finalement en ne défendant que ses propres intérêts. Car à supposer que nous fassions tous de même, les confrontations et les conflits grandiraient et la prospérité diminuerait.

Le slogan « Notre pays d’abord » ne peut que mener à davantage de confrontations nationales et à moins de prospérité. À la fin, tout le monde y perd.

Notre expérience historique en tant qu’Allemands est tout autre : c’est seulement après avoir appris, à l’issue de deux terribles guerres mondiales, à reconnaître dans nos ennemis d’hier des voisins et partenaires avec lesquels nous voulons assumer, ensemble, notre responsabilité pour une coexistence pacifique que la situation de nos propres citoyens en Allemagne s’est également améliorée.

Nous avons appris que ce n’est pas le « Germany first » qui a rendu notre pays fort et prospère, mais que c’est seulement grâce à une responsabilité avant tout européenne et internationale, le « european and international responsability first », que nous autres Allemands avons aussi trouvé la paix et la prospérité.

La coopération internationale ne signifie pour personne une perte de souveraineté, nous y gagnons tous ensemble une nouvelle souveraineté, dont nous ne disposons plus seuls, en tant qu’États-nations, dans le monde actuel.

Pour cette raison, l’Union européenne est aujourd’hui le cadre d’action de notre politique allemande. Ce chemin a souvent été accidenté et difficile. Car rien n’est plus dur que de faire d’anciens ennemis des amis.

En outre, l’appel à la coopération internationale et à un équilibre des intérêts n’est pas toujours populaire dans son propre pays. Mais c’est ce courage qui a finalement apporté la paix en Europe après des siècles de guerre. Et nous - les ennemis d’hier - sommes aujourd’hui unis par une amitié nouvelle et durable.

C’est parce que nous avons fait cette expérience, en Allemagne et en Europe, que nous militons pour des institutions communes fortes et efficaces, en priorité les Nations Unies.

Mesdames, Messieurs,

L’attitude irresponsable de la Corée du Nord, qui met gravement en péril la paix mondiale, souligne actuellement la nécessité urgente d’agir ensemble pour un monde plus sûr.

Notre message doit être clair : la communauté internationale n’acceptera pas les provocations nucléaires de la Corée du Nord.

L’Allemagne se félicite donc des sanctions adoptées par le Conseil de sécurité et s’est engagée pour qu’elles soient rapidement mises en œuvre à l’échelle européenne ; elle est même favorable à ce que les Européens aillent encore plus loin.

Dans le même temps, nous devons nous servir de tous les moyens diplomatiques pour désamorcer la situation dans un premier temps et ensuite trouver un point de départ pour des solutions à plus long terme.

S’il est si important de résoudre cette crise internationale, c’est parce que la Corée du Nord fera sinon des émules. Car si un pays réussit à entrer en possession d’armes atomiques et que la communauté internationale, impuissante, le laisse faire impunément, d’autres dirigeants politiques suivront l’exemple.

De tout nouveaux foyers nucléaires émergeront alors dans le monde, et nos enfants et petits-enfants grandiront dans un monde très dangereux. L’acquisition par la Corée du Nord de l’arme nucléaire n’est donc un problème ni bilatéral ni régional, mais bien un enjeu mondial auquel il nous faut faire face ensemble.

La volonté de se doter de l’arme nucléaire ne doit pas devenir une recette de succès de la politique internationale.

C’est pourquoi il est plus important que jamais que l’architecture internationale en matière de contrôle des armements et de désarmement ne soit pas ébranlée. Les traités et accords en vigueur ne doivent pas être remis en cause.

Cela vaut en particulier pour l’accord nucléaire avec l’Iran.

Cet accord ouvre une voie pour sortir de l’impasse d’une confrontation nucléaire qui menacerait la sécurité régionale et aurait des conséquences bien au-delà de la région.

Mais pour que la confiance pourtant si nécessaire et urgente puisse croître, il est indispensable que tous les engagements pris soient systématiquement respectés et que la transparence convenue soit assurée.

L’Allemagne s’impliquera dans le cadre du groupe E3+3 pour que l’accord soit strictement mis en œuvre et puisse être maintenu.

Il n’est pas question ici que de l’Iran. Il y va de la crédibilité de la communauté internationale.

Car quel État pourrait être amené à renoncer à son propre programme nucléaire s’il s’avérait que les accords négociés ne sont pas viables et comment pourrait-on avoir confiance dans les accords passés avec la communauté internationale en sachant qu’ils ne valent pas le papier sur lequel ils ont été rédigés ?

Mesdames, Messieurs,

Ce dont le monde a avant tout besoin c’est d’une confiance nouvelle. En particulier en ce qui concerne la mise en œuvre de l’interdiction concernant la prolifération des armes nucléaires, notre demande s’adresse donc aux États‑Unis, à la Russie et à la Chine. Ces pays ont en main la clé qui permet d’imposer cette interdiction concernant la prolifération des armes nucléaires ainsi que le contrôle des armements et le désarmement. Il faut pour cela aussi que la confiance grandisse à nouveau entre eux.

Monsieur le Président,

Les discours des présidents des États‑Unis d’Amérique sont toujours importants et intéressants. Cela vaut la peine de les écouter et aussi de les lire plus en détail. J’ai trouvé dans un de ces discours une citation qui m’a énormément plu.

Le président américain y appelle au « désarmement général et complet ».

Car chaque année - c’est ce qu’il dit dans son discours - des milliards sont dépensés pour des armes « achetées seulement pour que nous ne les utilisions jamais ». Ce qui n’est assurément pas la « méthode la plus efficace pour assurer la paix », constate-t-il.

Ce discours est celui prononcé par le président John F. Kennedy en 1963.

Vous le voyez donc : tout ce dont nous avons besoin pour un avenir sûr a déjà fait l’objet d’une réflexion, été écrit et dit.

Je trouve que nous devrions aujourd’hui nous inspirer de ces audacieuses visions de la Commission Nord‑Sud et aussi de John F. Kennedy, et avoir le courage de faire de nouvelles offres de désarmement, de contrôle des armements et de mesures de confiance.

Mesdames, Messieurs,

Il nous incombe également de résoudre en amont les crises qui se préparent.

Prenons un exemple tout récent : l’escalade de la violence contre les Royhingyas et le flot de réfugiés dans la région. Nous devons ici agir le plus rapidement possible, sur le plan humanitaire mais aussi politique, pour soulager la détresse et mettre un terme au conflit. L’Allemagne augmentera ici aussi son aide apportée aux Rohingyas par le truchement de la Croix‑Rouge internationale.

Dans de nombreuses régions en crise du monde, notre pays est actif sur le plan politique et humanitaire mais aussi dans le cadre du travail pratique en faveur de la paix.

Pour ce faire, des missions militaires sous l’égide des Nations Unies sont parfois nécessaires. Néanmoins, nous devons veiller à ce qu’il n’y ait pas de déséquilibre.

Dans le rapport de la Commission Nord‑Sud, on trouve un calcul impressionnant : les dépenses militaires d’une demi‑journée auraient suffi à l’époque à financer toute la lutte contre le paludisme.

Je suppose qu’une demi-journée n’est même plus nécessaire aujourd’hui.

À l’heure actuelle, nous consacrons dans le monde entier près de 1 700 milliards de dollars par an à l’armement. Pour pouvoir réaliser l’objectif de développement durable des Nations Unies et éliminer l’extrême pauvreté dans le monde d’ici à 2030, dix pour cent de cette somme seulement suffirait.

C’est pourquoi les Allemands ont triplé ces dernières années leurs ressources consacrées aux mesures civiles de maintien de la paix.

Mesdames, Messieurs,

Il y a cependant aussi des progrès. En Iraq, par exemple. Nous devons rapidement renforcer dans ce pays les progrès réalisés jusqu’à présent dans la lutte contre l’organisation « État islamique » par le biais de la reconstruction et de mesures de stabilisation dans les villes et territoires libérés.

L’Allemagne a donc décidé de verser 250 millions d’euros supplémentaires pour la reconstruction de Mossoul. Car nous n’avons pas le droit d’abandonner les victimes des bourreaux de l’EI, nous devons leur donner la possibilité de rentrer chez elles !

Il est également important de renforcer un État iraquien démocratique et inclusif, et de ne pas laisser des initiatives d’une seule région partielle risquer encore une fois de le déstabiliser. Nous ne pouvons que demander au gouvernement régional kurde dans le nord de l’Iraq de ne pas déclencher de nouveaux conflits dans le pays. De nouveaux conflits et guerres civiles sont la dernière chose dont l’Iraq a besoin.

Mesdames, Messieurs,

Nous devons également avancer dans le conflit ukrainien.

Concernant ce pays, les accords de Minsk prévoient une feuille de route claire que l’Allemagne a contribué intensivement à formuler.

Cette feuille de route repose sur les principes du règlement pacifique des conflits et de l’inviolabilité des frontières.

Si des propositions sont faites maintenant, y compris celle d’envoyer une mission de paix des Nations Unies, j’estime pour ma part que nous devrions poursuivre fermement ces idées. Certes, nous ne sommes pas encore parvenus à un consensus suffisant sur les modalités de cette mission de paix. Mais cela vaut la peine pour nous de nous livrer à cette tentative et nous demandons au Secrétaire général des Nations Unies de s’engager résolument en ce sens.

Mesdames, Messieurs,

Comme le souligne la Commission Nord‑Sud, se préoccuper uniquement de questions de paix et de guerre ne suffira pas.

Ces questions sont indissociablement liées à la juste répartition des ressources, au développement économique et social, et au respect des droits de l’homme universels.

Seul un monde régi par la solidarité nous apportera finalement la sécurité et la paix.

Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 montre que la communauté internationale a identifié ce fait comme d’un « intérêt commun ».

Si nous voulons réaliser les grandes ambitions de paix, de sécurité et de justice, nous avons besoin d’institutions communes fortes, en priorité les Nations Unies.

Les fondateurs des Nations Unies n’étaient pas naïfs, ils tiraient simplement les enseignements des horreurs de la première moitié du XXe siècle.

C’est précisément la raison pour laquelle ils nous ont légué la Charte avec ses principes et ses fondements intemporels.

Mesdames, Messieurs, il me faut cependant ajouter ceci :

S’il est vrai que les principes des Nations Unies n’appartiennent pas au passé, il est tout aussi vrai que l’organisation mondiale doit s’adapter aux défis de notre temps.

C’est pourquoi nous soutenons le Secrétaire général pour qu’il fasse avancer des réformes courageuses au sein des Nations Unies. Il met les accents là où il faut :

La réussite de la réforme des Nations Unies dépend essentiellement de nous, les États membres.

Nous devons militer ensemble pour que les Nations Unies soient plus percutantes et plus efficaces.

Les économies ne doivent pas, selon moi, être l’objectif majeur des efforts de réforme.

Au contraire : les Nations Unies auront plutôt besoin de plus d’argent. Nous devons leur donner les moyens nécessaires pour remplir leur mandat.

Cependant, les chiffres parlent actuellement un autre langage :

Le Programme alimentaire mondial reçoit aujourd’hui moins de la moitié des fonds qui seraient nécessaires pour combattre les crises alimentaires mondiales.

De même, il ne reçoit aujourd’hui que 15 pour cent de ses contributions comme contributions volontaires non affectées, alors que ce pourcentage s’élevait encore à 50 pour cent en 2011. Les chiffres ne sont pas meilleurs dans d’autres programmes onusiens.

Il est inacceptable que les responsables des Nations Unies passent plus de temps à distribuer des lettres de demande de fonds qu’à organiser une aide efficace.

Nous devons ici opérer un changement de cap. Nous devons donner plus de moyens et plus de libertés aux Nations Unies. Nous avons besoin en retour d’une plus grande efficacité et transparence concernant l’utilisation des ressources.

L’Allemagne en tout cas maintient son soutien financier aux Nations Unies :

En tant que quatrième contributeur pour les contributions fixes au budget des Nations Unies et bien plus, par exemple en tant que l’un des principaux donateurs d’aide humanitaire au monde, nous voulons continuer à fournir une contribution substantielle.

Comme États membres, nous devrions, à mon avis, adopter maintenant très concrètement un nouveau projet de réforme, attendu depuis longtemps :

La composition du Conseil de sécurité devrait refléter également la réalité du monde d’aujourd’hui :

Un monde dans lequel plus de pays que lors de la création des Nations Unies il y a plus de 70 ans portent la responsabilité de la paix et de la sécurité et sont prêts à assumer cette responsabilité au sein des Nations Unies.

Mesdames, Messieurs,

L’Allemagne est prête à assumer une responsabilité supplémentaire.

C’est pourquoi notre pays postule à un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies pour la période 2019‑2020.

Nous le faisons sur la base d’un grand principe clair, à savoir que la paix et la sécurité, la justice mondiale et les droits de l’homme sont indissociables.

Nous voulons agir dans cette voie en partenariat avec tous les membres des Nations Unies, en Afrique, en Asie, en Amérique et en Europe.

Car nous ne pourrons résoudre les problèmes mondiaux que si nous parvenons à un équilibre juste et pacifique des intérêts entre toutes les nations.

C’est un chemin ardu, c’est vrai. Mais nous devons avoir le courage de le suivre.

Car comme le formulait, pour les Nations Unies, Willy Brandt en qualité de président de la Commission Nord‑Sud :

« On devrait toujours espérer que les problèmes créés par les hommes pourront être résolus par des hommes. » Nous en sommes convaincus.

Je vous invite donc à y travailler ensemble.

Merci beaucoup !

(21 septembre 2017)

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