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« Les dossiers actuels de la politique européenne de l’Allemagne »
-- Seul le texte prononcé fait foi --
Chers étudiants,
Mesdames, Messieurs,
On a beaucoup entendu parler ces derniers jours de « l’esprit de Bratislava », que l’on aurait senti ici-même lors du dernier sommet du Conseil européen. C’est donc un plaisir pour moi que d’être ici aujourd’hui afin de découvrir ce qu’il en est de ce fameux « esprit de Bratislava ». J’espère bien qu’il ne s’agit pas d’un génie maléfique, mais plutôt d’une nouvelle forme de coexistence en Europe. Car face aux crises que nous connaissons en ce moment, nous avons besoin plus que jamais de cohésion et de solidarité.
L’Union européenne est mal en point ces jours-ci. Dans son discours sur l’état de l’Union, le président de la Commission Jean-Claude Juncker a été clair : l’Union européenne connaît une crise existentielle. Le référendum du Brexit en Grande-Bretagne notamment a suscité des interrogations fondamentales quant à l’avenir de l’UE.
L’Europe, et maintenant ? Sommes-nous sur le point de sombrer dans une dépression collective ? Allons-nous imaginer des cauchemars plus terribles les uns que les autres sur l’effondrement de l’Union européenne ? J’ai lu récemment un article du politologue Jakub Grygiel dans le dernier numéro de la revue « Foreign Affairs ». Il présage la chute de l’UE et fait l’éloge du retour à une Europe des États-nations qui serait selon lui l’unique solution valable aux problèmes de notre continent. C’est insensé !
J’ai bien envie de me demander si M. Grygiel vit sur la même planète que moi-même ? Personnellement, je reste persuadé que l’Union européenne constitue notre assurance-vie en cette ère tumultueuse de la mondialisation et des crises dans notre voisinage.
Permettez-moi donc de toucher aujourd’hui à des questions de fond. L’Union européenne n’est pas négociable pour nous. Pour le gouvernement fédéral, le processus d’intégration européenne fait partie d’une raison d’État fermement ancrée dans notre Loi fondamentale. Sept décennies de paix, de démocratie et de liberté en Europe, cela est tout sauf évident. Nous en sommes bien conscients, surtout depuis que des conflits armés sévissent dans notre voisinage.
Ensemble, et ensemble seulement, nous sommes en mesure de rester une force avec laquelle il faut compter. Aujourd’hui, nous autres Européens représentons tout juste huit pour cent de la population mondiale ; ce ne seront plus que cinq pour cent d’ici l’année 2050. Plus aucun État membre de l’Union européenne ne figurera alors parmi les grandes puissances économiques internationales. En revanche, l’Union en tant que telle aurait toujours sa place dans le peloton de tête.
Si je lis bien les statistiques, la Slovaquie elle aussi accorde toujours une place importante à l’UE. Dans le dernier sondage d’Eurobaromètre, 87 pour cent des Slovaques affirment apprécier particulièrement les libertés qu’offre le marché intérieur européen. 78 pour cent se disent favorables à l’euro. Et 76 pour cent déclarent soutenir des mesures supplémentaires en vue d’une politique de sécurité et de défense commune de l’Europe.
Si ces chiffres disent vrai, nous ne devons en aucun cas céder au sentiment de frustration. Au contraire. Le moment est venu de se remonter les manches et de lutter pour une autre Europe. L’Union doit s’améliorer, ou mieux : nous autres Européens devons nous améliorer en tant qu’équipe.
Améliorer l’Europe. Permettez-moi de vous exposer en quatre exemples comment cela peut fonctionner.
Premièrement, l’UE doit améliorer sa capacité d’action. Je veux dire qu’elle doit être capable de trouver des solutions aux inquiétudes et aux problèmes concrets de nos concitoyens. Il faut enfin que la population perçoive à nouveau l’Europe comme une partie de la solution et non du problème.
C’est le point de départ de la feuille de route de Bratislava. Elle fait partie de la déclaration adoptée par les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne à 27 il y a quelques semaines, ici-même à Bratislava. Cette feuille de route contient une longue liste de projets concrets qui seront traités au cours des prochains mois. Nous nous sommes donc engagés à mettre en œuvre ce qui a été abordé, et ce non pas un beau jour, mais tout de suite. Pied à pied.
Dans le domaine de la sécurité intérieure par exemple, nous voulons mettre au point un nouveau système pour l’entrée sur le territoire européen. Ce système baptisé ETIAS permettra de contrôler au préalable les voyageurs exemptés de l’obligation de visa et de leur refuser si nécessaire l’entrée sur le territoire.
Prenons un autre exemple, issu du domaine de la sécurité extérieure. Nous désirons renforcer nos capacités dans le domaine de la sécurité et de la défense, notamment au sujet de la communication virtuelle et par satellite. L’Allemagne s’engage en faveur de la mise en place d’une coopération structurée permanente entre États membres intéressés dans le domaine de la défense, et nous sommes en train d’effectuer des vérifications à ce sujet dans les domaines sanitaire et logistique.
Deuxièmement, nous devons faire des progrès dans le domaine de la migration et de la protection des frontières extérieures. Depuis la semaine dernière, l’Union européenne, ou plus précisément l’espace Schengen, possède une autorité chargée de la gestion de ses frontières. Ce corps européen de gardes-frontières et de gardes-côtes va bien au-delà de l’agence Frontex. Cette nouvelle autorité comprendra 1000 fonctionnaires d’ici l’année 2020 et sera dotée d’un budget de 320 millions d’euros, soit deux fois plus qu’aujourd’hui. En outre, 1 500 policiers et experts nationaux constitueront la réserve d’une force de réaction rapide.
Cependant, il me tient à cœur également que nous ne limitions pas notre politique migratoire à la seule amélioration de la protection des frontières extérieures. Il est en effet illusoire de penser qu’il suffirait de construire des murs et des clôtures pour nous isoler des problèmes dans d’autres régions du monde, même si nous le voulions. Les événements de ces derniers mois nous l’ont montré clairement. Les flux de réfugiés ne s’arrêtent pas aux frontières nationales, ils se frayent un chemin jusqu’au pas de notre porte, jusqu’à ce que nous ne puissions plus les ignorer.
Je ne vous cacherai pas que l’Allemagne a sa part de responsabilité dans l’insuffisance des règles existantes, comme par exemple le règlement dit « de Dublin ». Nous étions longtemps opposés à l’européanisation de la protection de nos frontières extérieures. De même, nous étions défavorables à une répartition équitable des réfugiés et nous n’avons que trop longtemps rejeté cette responsabilité sur les pays formant les frontières extérieures de l’Union européenne.
La position allemande a bien changé depuis, vous le savez. Cela nous a pris quelque temps, mais nous étions prêts à remettre en question notre point de vue et à le réorienter. À présent, nous plaidons avec d’autres partenaires pour une véritable politique européenne de migration et de l’asile qui soit efficace, mais surtout solidaire et digne. Aucun règlement, aucune directive ne doit jamais remettre en cause ce qui forme le cœur de l’Union européenne : nous sommes et nous restons une communauté de valeurs.
Troisièmement, je voudrais aborder la question difficile de la solidarité. Là encore, il y a des progrès à faire. Nous sommes d’accord en Europe que la solidarité fait partie des fondements de l’Union. Par le passé, nous autres Européens avons tous, je dis bien : tous, commis l’erreur de mesurer la solidarité de l’Europe entière à l’aune de nos propres idées de la solidarité. Cela ne mène à rien. La solidarité est indispensable, mais il faut la définir et la concrétiser au cas par cas, pour chaque domaine.
Justement, la question de la fuite et de la migration a suscité l’année passée des différends majeurs entre les États membres concernant notre conception de la solidarité au sein de l’Europe.
Une chose reste indiscutable à mes yeux : ceux qui fuient la violence, la terreur et la guerre méritent notre solidarité inconditionnelle. C’est là notre devoir légal et moral. Et je dois dire qu’il est bizarre que l’Allemagne soit critiquée, par certains, pour sa manière de traiter les réfugiés, alors que nous ne faisons que suivre les préceptes de nos valeurs communes, c’est-à-dire la dignité et l’honnêteté. Nous continuerons d’ailleurs à agir de cette manière, sans nous excuser auprès de personne.
L’Allemagne et d’autres États membres estiment que la solidarité en Europe doit également impliquer un mécanisme pour la répartition équitable des réfugiés dans tous les États membres. Certains États membres, comme la Slovaquie et les autres membres du Groupe de Visegrad, se sont opposés à un tel mécanisme. C’est leur droit. Mais il nous faut alors discuter de la façon concrète d’organiser la solidarité dans ce domaine.
Je me réjouis que le sommet informel de Bratislava ait fait un premier pas dans cette direction. Enfin, nous parlons à nouveau ensemble et non les uns des autres. Le Groupe de Visegrad déclare vouloir trouver d’autres modèles de solidarité ; cela constitue, à mes yeux, une approche absolument digne d’être discutée. Car en fin de compte, il s’agit pour nous tous de trouver des solutions. Il sera donc intéressant de discuter avec les pays de leurs idées précises. Je suis très curieux d’entendre leurs propositions concrètes. Néanmoins, un principe vaut aujourd’hui comme hier : la solidarité n’est pas à sens unique. Si chacun bricole sa propre interprétation nationale de la solidarité, cela peut éventuellement avoir des conséquences dans d’autres domaines politiques, comme la politique régionale ou agricole, ou encore la politique de cohésion. Comme vous le savez, l’Europe est toujours tributaire de sa capacité de trouver des compromis.
Quiconque pense que tout cela peut se dérouler en ligne droite et sans aucune dispute n’a pas compris grand-chose à la politique européenne. Au contraire. Davantage de disputes seront encore nécessaires, parce que nous sommes confrontés de plus en plus souvent à des questions difficiles de répartition en Europe. Toutefois, les négociations serrées d’intérêts nationaux, et aussi le cas échéant de conflits d’intérêt, ne sont pas un signe de faiblesse, mais tout simplement une nécessité. Et parfois même une expression de progrès.
Quatrièmement, nous devons améliorer notre communication sur l’Europe. Il est vrai qu’une telle demande s’adresse avant tout à des responsables politiques comme moi-même. Jusqu’à ce jour, après les réunions du Conseil à Bruxelles, les représentants des États membres présentent les résultats aux médias sous un angle national uniquement. L’Europe ne peut pas fonctionner ainsi, c’est certain. Nous devons tous tenir compte des intérêts européens.
Nous devons arrêter d’entretenir les clichés de la bureaucratie bruxelloise et de sa prétendue fureur réglementaire. Permettez-moi de vous donner un petit exemple. L’été dernier, lors de l’adoption du règlement de l’UE relatif aux équipements de protection individuelle, les médias partout en Europe ont raillé le fait que dorénavant, la Commission allait même réguler les maniques tricotées par mamie. Pourtant, c’étaient des élus issus des États membres qui avaient adopté ce règlement au sein du Conseil des ministres et du Parlement européen ; et il n’était jamais question des maniques de mamie.
Je pourrais vous citer nombre d’autres exemples qui ont une chose en commun : ils font du tort à l’Europe. Si nous voulons améliorer l’Europe, nous ne devons pas la traiter de manière aussi irresponsable. Le règlement que je viens de citer sert par exemple à la protection des consommateurs et apporte même une réduction de la bureaucratie puisque dorénavant, il ne faudra plus tenir compte de vingt-huit lois nationales différentes dans ce domaine. Cela ne signifie pas que l’Union européenne doit dès maintenant simplifier toutes les réglementations, mais nous devrions reconnaître publiquement que de nombreuses réglementations venant de Bruxelles sont très utiles au marché intérieur, tout bonnement.
Si nous pouvions réaliser ces quatre projets, l’Europe ferait un grand pas en avant. Au cours de l’Histoire, l’Union européenne a toujours progressé à travers ses crises. Les crises peuvent aussi être un moteur de l’intégration et de la cohésion. Bien des choses absolument inimaginables il y a dix ans encore, notamment du point de vue allemand, comptent à présent parmi nos exploits communs. Je vous ai cité l’exemple de la protection des frontières ; il y en a beaucoup d’autres encore.
Aujourd’hui, nous refaisons ce chemin. Si l’Europe se serre les coudes pendant la crise, elle en sortira transformée, plus forte.
C’est l’objectif commun de nos efforts avec nos partenaires européens, notamment au cours de la présidence slovaque du Conseil et avec les institutions européennes.
Et maintenant, je me pose la question si nous allons laisser sortir de sa lampe le « génie de Bratislava » ? Saura-t-il nous redonner courage et énergie ? J’ai hâte d’en discuter avec vous.
10/10/2016