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Discours du ministre fédéral des Affaires étrangères Heiko Maas, à l’occasion d’un petit-déjeuner sur le multilatéralisme à Toronto

15.08.2019 - Discours

Le chef de la diplomatie allemande Heiko Maas lors d’un événement sur le multilatéralisme au Canada

Merci pour ces paroles chaleureuses ainsi que pour cette invitation à prendre la parole devant vous aujourd’hui.

Grâce au décalage horaire, je n’ai eu aucun problème à me lever de si bonne heure ce matin. Je vous suis d’autant plus reconnaissant d’être venus à une heure aussi matinale.

J’aimerais également vous remercier au nom de mes fils qui sont encore adolescents.

Ils étaient absolument ravis d’apprendre que je me rendais à Toronto. Cela est moins dû à la ville en soi qu’aux Toronto Raptors. Bien évidemment, mes fils les connaissent et espèrent probablement que je leur rapporterai un quelconque souvenir des Raptors.

Chrystia sait que moi personnellement, je m’intéresse plutôt au cyclisme. Hier, nous avons même fait une petite promenade en vélo dans Toronto.

Mais je comprends tout à fait pourquoi autant de personnes dans le monde entier se passionnent pour les Raptors. Récemment, un journaliste les a qualifiés de « champions les plus improbables de l’histoire de la NBA », car de nombreuses équipes disposent de plus de ressources ou comptent une bonne dizaine de superstars internationales dans leurs rangs. Pourtant, les Raptors ont gagné. Ils ont échangé les meilleures passes. Ils ont justement joué comme une vraie équipe. Pour eux, ce qui comptait, ce n’était pas « ma superstar d’abord », mais plutôt « rendre l’équipe à nouveau grande ».

Mesdames, Messieurs,

Vous ne vous êtes certainement pas levés ce matin à 6 heures pour m’entendre parler de sport.

Mais il y a une chose qui vaut aussi bien pour le basketball que pour les relations internationales :

le travail d’équipe est indispensable. Cela vaut en particulier pour des pays comme le Canada et l’Allemagne. Nous ne sommes pas des superpuissances mondiales.

Comme Chrystia l’a déjà mentionné l’année dernière dans son discours à Berlin à l’occasion de la conférence des ambassadeurs : dans un monde dans lequel seuls les puissants ont raison, nous ne pouvons que perdre.

Nos économies sont tributaires d’un commerce équitable et des marchés ouverts. Nos sociétés vivent de leur ouverture.

Mais ces sociétés ouvertes, nos économies libres et même l’ordre international subissent actuellement des pressions de deux côtés : des nationalistes dans nos propres pays et des populistes dans le monde entier.

Le jeu que l’on appelle « politique internationale » est clairement devenu plus rude.

Dans un premier temps, d’autres joueurs ont fait leur apparition sur le terrain. La Chine, avec ses ambitions mondiales qui correspondent rarement aux idées que nous nous faisons d’un ordre international libéral, n’est qu’un exemple parmi d’autres. Les rapports de force dans le monde sont en train de changer et la révolution numérique va même accélérer ce processus.

Deuxièmement, certains joueurs ne respectent plus les règles et violent l’ordre international. Il suffit de songer par exemple à l’annexion illégale de la Crimée par la Russie, à l’emploi d’armes chimiques en Syrie ou aux essais balistiques de la Corée du Nord.

Troisièmement, nos arbitres n’ont pas le soutien qu’ils méritent.

En tant que membre du Conseil de sécurité, nous voyons chaque jour comment des décisions sont diluées ou bien tout simplement bloquées, un sort que les Nations Unies partagent avec d’autres organisations internationales comme l’OMC.

Et au bout du compte, nous nous demandons parfois qui joue encore dans notre équipe.

C’est d’autant plus préoccupant que ce sont justement les États-Unis qui, durant les 70 dernières années, ont créé et façonné l’« ordre international libéral » tel que nous le connaissons.

Et ne nous leurrons pas : nous continuons à avoir besoin des États-Unis dans notre équipe – pour renforcer cet ordre et le réformer.

Je sais que cette analyse est assez inquiétante. Et en effet, nous faisons face à des questions sérieuses : quelle place nos pays occuperont-ils à l’avenir dans ce monde ? Seront-ils coincés entre l’enclume américaine et le marteau chinois ?

C’est l’une des questions centrales que Chrystia et moi avons abordées à Berlin l’année dernière.

Et ceux qui connaissent Chrystia ne seront pas surpris d’apprendre que nous avons décidé de passer à l’action. Nous avons contacté nos amis et partenaires du monde entier qui partagent nos valeurs, qui sont attachés à l’ordre international et qui veulent s’atteler ensemble à des sujets tels que le changement climatique, la migration, la mondialisation et la révolution numérique. Des thèmes qui, au Canada et en Allemagne, figurent en tête de l’ordre du jour politique. Cependant, nous ne pourrons y arriver seuls, car aucun de ces défis ne s’arrêtent aux frontières nationales !

C’est ainsi qu’est née l’idée d’une alliance pour le multilatéralisme. Les premiers États à nous rejoindre furent la France et le Japon. Suivirent ensuite des pays d’Amérique latine, d’Afrique, d’Asie et l’UE. Nous avons convenu de nous serrer les coudes lorsque des règles et des institutions internationales sont mises à mal, comme l’architecture des droits de l’Homme, le système d’aide humanitaire ou nos accords sur le contrôle des armements qui sont en train de s’effriter.

Et ensemble, nous nous sommes mis au travail : en avril, nous avons replacé la question du désarmement nucléaire à l’ordre du jour international et pour la première fois depuis sept ans, celle-ci a de nouveau fait l’objet de débats au Conseil de sécurité. Avec le Canada et d’autres partenaires, nous avons lancé une initiative qui vise à ce que les États à travers le monde s’engagent à respecter de nouveau la non-prolifération et le désarmement.

Nous sommes parvenus à maintenir l’élan de l’Accord de Paris sur le climat. En décembre dernier, toutes les parties signataires restantes se sont entendues sur une voie commune pour l’avenir. Aux Nations Unies, nous nous employons avec encore plus d’intensité à trouver une réponse aux répercussions du changement climatique sur la paix et la sécurité. Nous aimerions par ailleurs renforcer notre coopération avec le Canada dans le domaine de la science.

Certains des experts allemands les plus remarquables dans le domaine du changement climatique m’accompagnent lors de ce déplacement. Ensemble, nous allons visiter le « grand nord blanc » de votre pays qui, ces jours-ci, ressemble malheureusement plutôt à un « grand nord vert ».

Évidemment, l’Allemagne n’est pas située sur le cercle polaire comme le Canada, mais nous aussi nous nous faisons du souci pour cette région fragile de notre Terre. Si nous ne faisons rien contre le réchauffement de l’Arctique, c’est notre avenir que nous compromettons.

Et nous soutenons tous vos efforts visant à maintenir des relations de bon voisinage dans cette région du monde. Nous ne pouvons pas nous permettre une compétition autour des matières premières et de nouvelles routes commerciales – un nouveau « Grand jeu » – en Arctique. Mais pour cela, il ne suffira pas de défendre uniquement les règles et les institutions existantes.

Si nous voulons façonner le monde de demain, nous devons être progressistes. Ce faisant, je ne pourrais m’imaginer meilleure partenaire que Chrystia Freeland. Dans un article, elle a dernièrement été qualifiée d’« idéaliste déterminée », une expression que j’aime beaucoup. Chrystia est suffisamment optimiste pour croire en un monde meilleur. Elle est suffisamment réaliste pour sceller des alliances à cet effet et elle est aussi suffisamment pragmatique pour savoir comment cela marche. J’en veux pour preuve l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne. Pour Chrystia, il n’était jamais question que de libre-échange. Pour elle, cet accord était notre meilleure chance d’établir des normes mondiales et de montrer au monde que le commerce peut être à la fois libre et juste – tant que les droits des travailleurs, les consommateurs et l’environnement sont protégés.

Et elle a raison !

Le protectionnisme nuit à tous, mais c’est aux pauvres qu’il nuit le plus. Si nous arrêtions demain tous les échanges internationaux, les ménages les plus riches perdraient 25 % de pouvoir d’achat, tandis que les pauvres, eux, en perdraient 60 !

Mesdames, Messieurs,

Cette idée est la pièce maîtresse de notre alliance pour le multilatéralisme. En somme, « mon pays d’abord » n’apporte rien aux habitants de ce monde. Ces derniers se portent mieux lorsque nous coopérons. C’est la raison pour laquelle notre alliance pour le multilatéralisme est une alliance pour les personnes : pour les travailleurs et les consommateurs qui profitent d’un commerce libre et juste ; pour les militants des droits de l’Homme qui s’inspirent des mêmes valeurs et idées que nous ; pour les jeunes qui nous poussent à lutter de toutes nos forces contre le changement climatique ; et pour les personnes dans le monde entier qui exigent que leur voix soit entendue – de Moscou à Khartoum et de Hong Kong à Caracas.

Ceux qui affirment que le temps des démocraties libérales est révolu sous-estiment la puissance de ces personnes. Ils sous-estiment la force d’une équipe forte. Regardez les Raptors !

Chère Chrystia, merci de faire partie de notre équipe !

Et merci à vous tous d’être venus ici aujourd’hui !

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