Bienvenue sur les pages du Ministère fédéral des Affaires étrangères

Discours du Ministre fédéral des Affaires étrangères Heiko Maas, membre du Bundestag allemand, à l’occasion de la conférence franco-allemande « Gagner la paix » le 11 octobre 2018 à Berlin

15.10.2018 - Discours

« Jamais l’Europe n’avait été plus forte, plus riche, plus belle, jamais elle n’avait cru plus intimement à un avenir meilleur. »
Même si cela semble difficile à croire, c’est bien par ces mots que Stefan Zweig décrit la période qui précède la Première Guerre mondiale dans son livre « Le monde d’hier ».

Confiant dans l’avenir, Zweig avait lutté avec ses collègues écrivains, dont Georges Duhamel et Romain Rolland, pour une Europe unie.

Mais lorsque Stefan Zweig écrit ces lignes, il sait déjà quel changement d’époque radical commence en 1914, avec la barbarie de la Première puis de la Deuxième Guerre mondiale. Sa foi dans le monde a dès lors cédé la place à un grand désespoir.

Aujourd’hui, 100 ans après la fin de la Première Guerre mondiale, sa vision d’une Europe unie s’est réalisée depuis longtemps. L’Europe des guerres est devenue une Europe de paix, ce qui n’avait rien d’évident.
C’est pour cette raison que je suis particulièrement heureux de vous souhaiter aujourd’hui la bienvenue personnellement et au nom de mon homologue français Jean-Yves Le Drian.

Nous autres, Français et Allemands, avons été qualifiés « d’ennemis héréditaires ». Aujourd’hui, nous sommes pourtant de grands amis. Sans la volonté de réconciliation des Français, cela n’aurait pas été possible.

Aujourd’hui, nous pouvons le dire : nous avons gagné la paix.
Mais le chemin a été long et parfois tragique.

Ce sera le thème principal des deux prochains jours. La question sera : comment terminer les conflits de manière à ce que la paix soit non seulement conclue mais surtout durable ? Comment créer une situation qui ne porte pas en elle le germe de nouvelles hostilités ? C’est une question qui nous préoccupera longtemps.

C’est pourquoi je me réjouis que cette conférence accueille un si grand nombre de représentants distingués des cercles scientifiques, médiatiques et politiques et d’acteurs de terrain pour évoquer ces sujets.
Je remercie tout particulièrement la Freie Universität Berlin d’avoir organisé cette manifestation ainsi que tous les autres membres du comité de pilotage qui ont préparé ses contenus et y ont apporté un soutien essentiel au cours des derniers mois.
Et je vous remercie, Monsieur Bildt, d’être parmi nous aujourd’hui pour prendre la parole. Dans vos fonctions diplomatiques variées, vous avez fortement contribué à la gestion de conflits internationaux difficiles, dont certains perdurent malheureusement encore.

Voilà en effet une autre leçon tirée de la Première Guerre mondiale : elle ne fut pas la « guerre mettant fin à toutes les autres », comme le pensait l’écrivain et historien anglais Herbert G. Wells au début de la guerre. Non, ce fut la « Grande guerre », la première guerre de masse, mondialisée et industrialisée de l’histoire de l’humanité.

Plus de 17 millions de personnes y ont perdu la vie ; des millions d’autres en sont revenus blessés, mutilés ou ont dû s’exiler. Des souffrances incommensurables que nous n’oublierons jamais et surtout que nous n’avons pas le droit d’oublier.

À la fin des combats, la paix qui a régné ne fut qu’apparente. Il n’a pas été possible de conquérir la paix dans les esprits et les cœurs des populations. Et quelques années plus tard, l’Allemagne entamera une guerre encore plus terrible qui plongera une nouvelle fois le monde dans l’abîme.

D’aucuns dans ce pays croyaient et croient toujours pouvoir tirer un trait sur le passé.
Ils pensent pouvoir se débarrasser du passé comme d’un fardeau trop lourd à porter. Il faut s’opposer résolument à cette idée.
Il n’y a pas d’avenir sans mémoire ! L’histoire est un élément indissoluble de notre identité. Elle est un avertissement et un enseignement, pour aujourd’hui mais aussi pour demain.

100 ans, c’est peut-être long. Mais les effets de la Première Guerre mondiale se font sentir aujourd’hui encore dans le monde entier.
La chute des anciens empires a fait naître de nouveaux États. De vieux foyers de crise nous ont été légués et de nouveaux ont été créés, y compris dans des zones de conflit qui restent difficiles, que ce soit dans les Balkans, au Proche et au Moyen-Orient ou dans le Caucase.
Pour analyser aujourd’hui la guerre en Syrie ou le terrorisme islamiste contemporain, nous ne pouvons pas non plus faire l’impasse sur le passé.

Il y a 100 ans, non seulement les frontières territoriales ont été redessinées, mais des processus de modernisation sociale ont également été enclenchés et les éléments centraux de notre ordre international libéral ont été formulés pour la première fois.

La leçon tirée par le président américain Woodrow Wilson dès 1918 reste d’actualité : seul un ordre multilatéral stable auquel la communauté internationale se sent liée peut garantir la paix et l’équilibre dans le monde.

Mais force est de constater aujourd’hui que de vieilles certitudes s’effondrent. Les principes et fondements bien établis de nos relations internationales sont remis en question : le multilatéralisme, le droit international et la valeur universelle des droits de l’homme.

Nous vivons aussi une instrumentalisation de l’histoire. Face au renforcement des courants nationalistes, il importe de plus en plus de considérer le passé comme source de légitimité des décisions politiques en Europe. Des idéologies populistes sont de nouveau employées pour attiser la discrimination et le nationalisme.

C’est inacceptable ! Nous devons nous engager pour la liberté, la tolérance et la justice.

Dans cet esprit, le souvenir est toujours un devoir. Même si nous vivons dans un monde en constante évolution auquel il faut sans cesse s’adapter, connaître notre histoire funeste, connaître la responsabilité allemande dans les souffrances infligées à des millions de personnes doit rester un crédo de notre action politique.

Car c’est une autre leçon de la Première Guerre mondiale, dont le déclenchement est dû, pour un part non négligeable, à un échec de la diplomatie : il se pourrait que la distance qui nous sépare d’un retour à un passé obscur soit aujourd’hui plus faible que ne le pensent certains.

Face à ce risque, nous n’avons pas le droit de rester de ne pas réagir. Nous devons préserver activement ce que nous avons bâti. Nous devons faire preuve de responsabilité et prendre position.
C’est pourquoi nous voulons, dans notre mandat au Conseil de sécurité des Nations Unies à partir de l’an prochain, assumer cette responsabilité plus forte qui incombe à l’Allemagne, et ce de manière visible. Cela se fera d’ailleurs en concertation étroite avec nos amis français.

« Il ne faut plus qu’il y ait de guerre après celle-là ! [...] Oui, assez ! »
L’écrivain français Henri Barbusse écrit ces mots en 1916, sous le choc de la cruauté et de la brutalité de la Première Guerre mondiale.

Nous savons aujourd’hui que son vœu n’a pas été exaucé.
Il n’en reste pas moins que pour les jeunes d’aujourd’hui comme pour ma génération, la paix est désormais une évidence en Europe. Mais il est tout aussi évident que la paix n’existe que parce que nous avons tiré les enseignements de notre histoire commune.

À une époque de recrudescence de la propagande populiste, une culture mémorielle européenne commune est plus importante que jamais.

C’est pourquoi je suis particulièrement heureux que dès le mois prochain, des jeunes issus de 52 pays se retrouvent à Berlin pour la rencontre internationale « Youth for Peace  ». Cette rencontre se situe dans le droit fil des rencontres de jeunes franco-allemandes organisées à Hartmannswillerkopf et Verdun en 2014 et 2016, et nous souhaitons qu’elles continuent.

Et dès la semaine prochaine, des centaines de jeunes gens venus de toute l’Europe et de notre voisinage méridional et oriental se réuniront également à Berlin dans le cadre du festival d’histoire « Crossroads of History ».
Ils représentent l’avenir, chargés de préserver ce dont Stefan Zweig n’avait pu que rêver : une Europe unie, Europe United.

Nous sommes réunis ici pour commémorer les millions de morts, de blessés et de traumatisés de la Première Guerre mondiale. Leur souvenir est une mise en garde.

Une mise en garde pour ne pas retomber dans de vieux schémas de pensée. Pour ne pas choisir l’isolement comme réponse aux défis de notre temps.
Pour ne pas rester indifférents face aux éloges du retour au nationalisme et au protectionnisme.
L’Union européenne est une réussite unique dans l’histoire du monde en matière de règlement des conflits.

Nous pouvons être sincèrement fiers des leçons que nous avons tirées de notre histoire commune ainsi que de nos accomplissements. Et connaissant notre passé, la protection et le renforcement de ces acquis constituent une mission importante qui nous incombe à tous, et pas uniquement aux responsables politiques. C’est une mission qui concerne notre société dans sa totalité.

Dans cet esprit, je souhaite que notre conférence soit le lieu d’échanges intenses mais aussi qu’elle contribue à engager les sociétés civiles de nos deux pays, et pas seulement leurs experts, dans ce qui nous apparaît nécessaire : se souvenir et tirer les conséquences qui s’imposent.

Je vous remercie vivement de votre attention et vous souhaite une fois encore la bienvenue à tous !

Retour en haut de page