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Discours de bienvenue du ministre fédéral des Affaires étrangères Heiko Maas à l’occasion du Forum de Berlin sur la politique étrangère

28.11.2018 - Discours

Heiko Maas lors du Forum de Berlin sur la politique étrangère de la Fondation Körber.

« Unite or decline  » – si le titre de cette édition du forum est assez hyperbolique, il est à mes yeux très pertinent : soit nous parvenons à renforcer notre cohésion en Europe, soit, et je n’exagère aucunement, nous compromettons l’avenir de cet unique projet de paix.

Permettez moi de vous présenter sans grands ambages en quatre points très brefs les principaux défis et les possibilités d’intervention que je perçois actuellement.

Premièrement, l’Europe doit s’affirmer dans un contexte géopolitique marqué par une concurrence toujours plus exacerbée entre les grandes puissances. « Great Power Competition », telle est la devise. Les arènes de cette compétition se dessinent de plus en plus clairement : d’une part sur le plan économique, entre les États-Unis et la Chine, avec peut-être à l’horizon l’escalade du conflit commercial ; d’autre part sur le plan stratégique, avec la rivalité entre les États-Unis et la Russie et aussi entre les États-Unis et la Chine. Cette nouvelle forme de compétition entre les grandes puissances domine d’ores et déjà les discussions à Washington et au delà.

La course vers l’hégémonie technologique vient attiser encore cette compétition, et surtout en ce moment dans le domaine des armements.

Or une chose est certaine : les Européens seraient les plus grands perdants, aussi bien du conflit commercial entre les États-Unis et la Chine que d’un durcissement stratégique des relations entre les États-Unis d’un côté et la Russie et la Chine de l’autre.

L’incertitude quant à l’avenir du Traité FNI qui jadis mit fin à la course au stationnement d’armes nucléaires à portée intermédiaire entre les États-Unis et l’URSS n’est qu’un exemple actuel parmi d’autres.

Effectivement, c’est surtout l’Europe qui profite de ce traité et nous avons donc intérêt à ce qu’il reste en vigueur et qu’il continue d’être respecté.

La question du positionnement de l’Europe face à cette nouvelle compétition entre les grandes puissances est cruciale pour tous les domaines de la politique étrangère.

  • Quelles sont en fait nos possibilités d’exercer une influence ?
  • Que pouvons nous faire, en tant qu’Européens, pour créer davantage de confiance et de transparence, pour trouver des solutions multilatérales ?

Ces questions, vous les aborderez également ici, lors du Forum de Berlin sur la politique étrangère.

Il est évident que l’Europe ne saurait se mettre à équidistance entre les différents pôles de puissance qui sont en train de se cristalliser. Le partenariat transatlantique est et reste profondément ancré dans notre politique et revêt une importance stratégique, surtout pour l’Allemagne. Mais il est une chose que nous devons voir, réaliser et face à laquelle nous devons réagir : l’intérêt des États-Unis pour l’Europe a baissé, et pas seulement depuis que le président s’appelle Donald Trump.

En tant qu’Européens, en tant qu’Allemands, nous devons donc investir davantage dans ce partenariat afin de le rendre plus équilibré, plus balancé. Et oui, nous sommes prêts à cela.

Car nous ne devons pas permettre que l’Europe soit broyée entre ces nouveaux pôles de puissance. Aussi, « Europe united » est l’expression du chemin que nous avons choisi d’emprunter, un chemin vers l’avant. Le pouvoir de l’Europe d’influer sur la scène internationale est étroitement lié à son unité.

Voilà pourquoi, et c’est là mon deuxième point, nous nous engageons en faveur d’une Europe souveraine. Pour y arriver, l’Union européenne doit se doter des moyens d’agir dans le contexte géopolitique compliqué que nous vivons ces temps ci, que ce soit dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité, du commerce ou encore de l’élaboration des technologies du futur.

Laissez moi vous nommer trois exemples qui montrent que la cohésion européenne facilite le progrès, notamment en matière de politique étrangère et de sécurité :

  • Il y a quelques jours, sur initiative de l’Allemagne, nous avons ajouté un pilier civil à la coopération structurée permanente dans le domaine de la défense, adoptée l’année dernière. Dans ce contexte, nous souhaitons fonder ici à Berlin un centre d’excellence européen pour préparer les experts civils à leurs interventions en cas de crise. De cette manière, nous transposons ce que nous appelons « l’approche globale » à l’échelle européenne.
  • Avec la Commission et le Service européen pour l’action extérieure, nous avons également adopté il y a quelques semaines une stratégie de connectivité de l’UE avec l’Asie. L’Allemagne a été un élément moteur de ce projet dès le départ. Nous souhaitons encourager et regrouper les investissements dans les infrastructures durables, dans les connexions entre l’Europe et l’Asie car c’est là aussi un investissement politique dans notre voisinage immédiat et élargi.
  • Un autre exemple est l’accord sur le nucléaire iranien qui ne subsiste à ce jour que grâce à l’unité des Européens.

Pour assurer la cohésion de l’Europe, il est impératif – voilà mon troisième point – que nous surmontions les fissures dans nos propres rangs. Nous qui, en Allemagne, avons connu physiquement la séparation de l’Europe entre Est et Ouest, nous ne saurions tolérer une nouvelle séparation. C’est pourquoi nous avons étendu et nous étendons encore nos canaux de communication vers les pays d’Europe centrale et orientale.

Ainsi, cher Miroslav, nous avons convenu d’approfondir le dialogue entre nos gouvernements ; j’ai aussi conclu un arrangement similaire avec le gouvernement tchèque.

Avec Varsovie, nous poursuivons un programme commun germano-polonais axé sur les questions européennes d’avenir. Enfin, avec le groupe de Visegrad également, nous nous concertons étroitement concernant les dossiers européens et internationaux.

Le tout est de savoir quel comportement nous souhaitons adopter face à nos voisins orientaux hors de l’UE. Une telle « Ostpolitik européenne », et je dis bien européenne, ne peut être réalisée qu’avec nos partenaires en Europe centrale et orientale.

Il nous faut donc réussir à développer au sein de l’UE une culture de l’action conjointe et concertée en matière de politique orientale. C’est là une condition sine qua non pour établir une politique commune envers nos voisins en dehors de l’Union européenne.

Cela vaut particulièrement pour la Russie. L’objectif doit être que Moscou respecte à nouveau les règles internationales et ne viole pas la souveraineté territoriale de ses voisins. Or il nous faut pour cela deux choses : des principes clairs et clairement énoncés, mais aussi un véritable dialogue sur notre sécurité commune en Europe.

Les incidents récents en mer d’Azov nous montrent à quel point c’est important. Nous avons appelé la Russie et l’Ukraine à faire preuve d’un maximum de retenue et proposé d’élaborer une solution en format Normandie, qui justement s’est réuni hier au niveau des directeurs politiques. Nous devons tout faire en faveur d’une désescalade et éviter que ce conflit ne se transforme en une crise encore plus aiguë pour la sécurité en Europe.

Ce conflit n’est d’ailleurs pas le seul où il est essentiel pour la politique allemande de se concerter étroitement avec la France, ce qui me mène à mon quatrième point. Tout récemment, Emmanuel Macron a réitéré avec insistance sa proposition d’une vraie relance franco-allemande devant le Bundestag allemand.

Quand il évoque l’amour de la France pour l’Allemagne, j’estime que le moment est venu pour nous aussi de nous demander si notre relation avec la France ne devrait pas transcender les catégories traditionnelles de l’amitié entre les peuples. Lorsqu’en mai dernier, j’ai réclamé un « coude à coude radical » entre nos deux pays, la formulation était certes un peu plus prosaïque que celle de M. Macron, mais au fond nous voulons dire la même chose.

Les propositions franco-allemandes pour réformer l’union économique et monétaire ainsi que la politique étrangère et de sécurité ont constitué une première étape importante. À présent, l’enjeu est de transposer ces arrangements dans des décisions européennes. Et malgré toutes les prévisions pessimistes, nous sommes sur la bonne voie.

Il en va de même pour les dernières étapes de négociation en vue d’un nouveau Traité de l’Élysée. Celui ci contient la promesse d’affronter dorénavant tous les défis majeurs ensemble, ce qui fixe donc le cap des années, voire des décennies à venir.

Ce faisant, nous mettons explicitement l’amitié franco-allemande au service de l’Europe en proposant à tous nos partenaires européens de participer à notre coopération.

Car notre but commun est bien la cohésion de notre continent à une époque qui nous confronte à des défis inédits, à l’intérieur comme à l’extérieur.

Cet objectif d’une unité plus forte de l’Europe, d’une « Europe united », nous ne l’atteindrons que si nous cessons de trop nous occuper de nous mêmes. Je fais allusion bien sûr au débat politique en Allemagne qui a parfois tendance à perdre de vue les bouleversements que nous connaissons actuellement au niveau mondial.

L’année 2019 sera absolument décisive en Europe et pour l’Europe :

  • Le Brexit s’annonce fin mars.
  • Les élections du Parlement européen au mois de mai promettent de susciter une énorme polarisation du débat politique en Europe. La campagne de désinformation au sujet du pacte mondial sur les migrations n’est en qu’un faible avant-goût.
  • Et en fin d’année, c’est une nouvelle Commission qui prendra les rênes à Bruxelles. En tant que responsables de la politique étrangère et de sécurité, notre mission sera de canaliser l’énergie politique sur ces domaines précisément.

Car qui, sinon l’Union européenne, est vraiment en mesure de stabiliser l’ordre multilatéral ? En vérité, le multilatéralisme est inscrit dans notre ADN !

Cela signifie que nous devons intensifier notre coopération avec ceux qui partagent les mêmes idées, même au delà des frontières de l’Europe. J’ai évoqué des « alliances pour le multilatéralisme » lancées depuis longtemps déjà avec des pays comme le Japon, le Canada ou l’Australie.

Notre objectif est de défendre les institutions existantes – eh oui, voilà où nous en sommes arrivés –, de les ouvrir et de les réformer là où c’est nécessaire, en commençant par les Nations Unies, les banques de développement et l’OMC.

Par ailleurs, nous devrions plaider pour une coopération plus étroite dans les domaines également qui ne font pas jusqu’ici l’objet d’une réglementation suffisante. Je pense notamment au cyberespace ou à l’élaboration de nouvelles armes toujours plus sophistiquées sur le plan technologique et qui sont susceptibles de rendre obsolètes nos instruments actuels de contrôle des armements.

En tout cas, se tenir à l’écart les bras croisés n’est pas une option ! Ce n’est peut-être pas un hasard si en anglais, « recline » rime avec « decline  »...

Cher Monsieur Paulsen,

Je suis très reconnaissant à la Fondation Körber d’avoir établi ici à Berlin un forum pour envisager des solutions en matière de politique étrangère et européenne. C’est plus nécessaire aujourd’hui que jamais. Un forum qui implique délibérément la jeune génération et qui ne perd jamais de vue notre objectif commun à tous : œuvrer pour la cohésion de l’Europe et le progrès de la construction européenne.

Merci de votre attention.


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