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« L’Europe est la réponse à tous les grands défis de notre époque »

27.05.2019 - Interview

Le ministre fédéral des Affaires étrangères Heiko Maas à propos des élections européennes, dans une interview accordée au site Internet T-Online.

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Tout laisse à penser que les populistes de droite vont élargir leur socle électoral lors des élections européennes. Ils pourraient même devenir le deuxième groupe parlementaire. Qu’est-ce que cela signifie pour la coopération européenne ?
Si les populistes de droite et les nationalistes gagnent trop en puissance au Parlement européen, ils seront en mesure de bloquer des décisions et des processus législatifs. Nous ne pouvons tolérer cela ! Nous ne devons pas commettre la même erreur que de nombreux Britanniques qui ne se sont pas rendus aux urnes lors du vote sur le Brexit. On voit désormais le chaos que cela a engendré. Aussi, si l’on ne veut pas laisser l’Europe aux nationalistes et aux diviseurs, il faut aller voter dimanche.

Dans quelle mesure les principaux partis politiques sont-ils responsables de la montée en puissance des populistes de droite ?
Nous devons faire notre autocritique. Prenons l’exemple de l’Italie : nous avons beaucoup trop longtemps laissé l’Italie se débrouiller toute seule face aux questions liées aux réfugiés. Les débats engendrés n’ont certainement pas fait de mal aux populistes italiens de droite.

Quels sont les problèmes auxquels l’UE devrait s’atteler en premier lieu après les européennes ?
Directement après les élections, nous mettrons sur pied un programme stratégique qui fixera les priorités des années à venir : transformation numérique, changement climatique, migration. J’estime que l’Europe sociale fait également partie des principaux défis, y compris en tant que leçon tirée de la montée en puissance du populisme de droite. Il ne faudrait pas que les gens aient l’impression que l’UE ne se préoccupe que d’échanges de marchandises transnationaux, du sauvetage des banques et des grands groupes. Nous devons traiter la question d’un salaire minimum européen et de normes communes pour la participation et les droits des travailleurs. Si nous voulons à nouveau enthousiasmer les citoyens pour l’Europe, tous doivent sentir que les gens, et non pas le marché, sont au centre de notre action commune.

L’Europe a-t-elle besoin de plus de passion ?
Oui, bien sûr.

Vous venez pourtant de parler d’un « programme stratégique »...
...entre autres...

...mais c’est un terme horriblement technique. Qui comprend ce que cela veut dire ? D’où ma question : l’Europe a-t-elle besoin de plus de passion ?
Prenez mon exemple : je suis né en 1966 et ai grandi en Allemagne de l’Ouest. Ma génération, à l’Ouest, n’a dû aucunement se battre pour tout ce qui a rendu ma vie digne d’être vécue : la démocratie, l’État de droit, les droits des citoyens. C’est peut-être la raison pour laquelle beaucoup d’entre nous s’y sont habitués. Mais désormais, tous ces supposés acquis sont menacés, et même de façon massive. Quand on vit dans un monde d’acquis, on ne se bat pas avec passion. Si nous voulons que l’Europe passionne les gens, nous devons montrer clairement quels sont les enjeux. Nous devons prendre conscience que l’Europe, c’est une question de liberté et de démocratie.

Pourquoi le gouvernement fédéral a-t-il réagi avec autant de réserve après que le président français Emmanuel Macron a publié début mars son appel passionné pour un nouveau élan de l’Europe ?
C’est une question que j’entends souvent en Allemagne : pourquoi ne réagissez-vous pas de manière plus offensive ? Ailleurs en Europe, on me dit le contraire. On entend plutôt : « vous voulez dicter notre conduite. Vous faites ce que vous voulez. Nous devons vous suivre. » Si nous voulons mettre en place des réformes dans l’UE – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle M. Macron a donné des impulsions précieuses – nous, Allemands, ne devrions pas donner des leçons à l’Europe, mais plutôt lui tendre la main.

Vous-même faites la promotion d’une Europe forte. À quoi celle-ci ressemblerait-elle ?
Notre environnement est empreint d’une concurrence des grandes puissances, surtout entre les États-Unis et la Chine, mais aussi la Russie. Aucun pays européen n’est suffisamment grand et important pour jouer un rôle dans cette compétition. C’est quelque chose que nous ne pouvons faire que collectivement, en tant qu’Européens. Si nous n’y parvenons pas, nous serons les jouets d’autres puissances. C’est pourquoi nous avons besoin d’une Europe forte et unie qui défend nos intérêts avec assurance et de manière souveraine.

Y a-t-il encore une coopération durable avec les États-Unis ? On a l’impression qu’un message Twitter de Donald Trump suffit pour bouleverser l’UE.
La situation n’est pas aussi dramatique que cela. Nous continuons à bien travailler de manière productive avec le Département d’État américain. Mike Pompeo se rendra à Berlin la semaine prochaine. Les États-Unis ont toujours pris des décisions que nous ne cautionnons pas. En revanche, auparavant, nous en discutions de manière plus intense. Aujourd’hui, nous n’avons vent de certaines choses qu’à travers les tweets de Trump et parfois, il semblerait que cela ne surprenne pas uniquement les partenaires internationaux, mais aussi les membres de son propre gouvernement.

C’est aussi l’impression que nous avons. Désormais, MM. Trump, Bolton et Pompeo planifient potentiellement une attaque militaire contre l’Iran. Qu’est-ce que cela signifierait pour le Proche-Orient ?
Tant les États-Unis que l’Iran assurent ne pas vouloir la guerre. Les deux pays savent ce que cela signifierait : une longue et terrible confrontation qui pourrait embraser l’intégralité de la région. Le plus grand risque pour l’instant, c’est que la tension ait atteint ce niveau élevé.

Donc le risque d’une « guerre par inadvertance » ?
La situation est extrêmement dangereuse, car même des événements imprévus peuvent entraîner une escalade de la situation. Nous avons déjà pu constater des actes de sabotage individuels. Dans le contexte actuel tendu, cela peut conduire à une nouvelle escalade et à un conflit militaire. Nous nous efforçons donc de discuter de manière intense avec toutes les parties et de créer les conditions pour que nous ayons rapidement des canaux de communication pour le cas où quelque chose d’imprévu se produirait. Une désescalade est plus nécessaire que jamais et c’est ce que nous attendons de tous les protagonistes.

Quelle influence la politique étrangère européenne a-t-elle encore sur un tel conflit ?
Plus nous agissons ensemble en tant qu’Européens, plus nous pouvons nous imposer. Et nous, l’Union européenne, faisons bloc pour soutenir l’accord sur le nucléaire iranien et pouvons donc expliquer clairement à l’Iran quelles sont nos attentes : c’est justement parce que nous nous méfions de l’Iran que nous, Européens, nous employons à préserver l’accord.

L’accord sur le nucléaire iranien peut-il encore être sauvé ?
Il nous faut être très réalistes : un an après la sortie des États-Unis de l’accord, il ne sera pas facile de le sauver. Les avantages économiques que l’Iran espérait tirer de cet accord seront très difficilement réalisables après le retrait des États-Unis, mais nous nous battrons pour y parvenir. Le monde est plus sûr avec que sans cet accord. Nous, Européens, tenons nos engagements, mais nous en attendons autant de l’Iran.

En cas d’échec de l’accord sur le nucléaire iranien, le moment serait-il venu pour l’UE d’admettre sa faiblesse ?
Absolument pas. On parle beaucoup du manque d’unité au sein de l’Europe, mais l’accord sur le nucléaire iranien a montré que l’UE est très unie, et ce dans des conditions extrêmement difficiles. Même si l’accord venait à échouer, nous pourrons prendre appui sur cette unité européenne pour l’avenir.

Pour finir, revenons-en au sujet de l’Europe : pourquoi les citoyens devraient-ils se rendre aux urnes ce dimanche ?
L’Europe est la réponse à tous les grands défis de notre époque. Que ce soit le changement climatique, la migration ou la transformation numérique – aucun pays en Europe ne peut relever ces défis seul ; nous n’y arriverons qu’ensemble. Il s’agit aussi de la manière dont nous coexistons, il s’agit de nos valeurs fondamentales, le fondement de l’Union européenne. Et je ne veux pas qu’il y soit porté atteinte. Nous ne devons pas laisser l’Europe aux mains des nationalistes et des alarmistes. C’est la raison pour laquelle j’espère que beaucoup de personnes iront voter. Il ne s’agit rien de moins que de l’avenir de l’Europe.

Monsieur le Ministre, merci pour cet entretien.

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